Littérature et généalogie
Photos de famille : ces clichés qui nous restent.
Anne-Marie Garat a publié de nombreux titres. J’apprécie particulièrement sa trilogie Dans la main du diable, L’enfant des ténèbres et Pense à demain. J’aurais pu m’arrêter à cette série passionnante, qui traverse le XXe siècle, écrite à la manière des romans feuilletons. Mais Anne-Marie Garat n’est pas uniquement une romancière. Elle a aussi enseigné la littérature et le cinéma et a écrit de nombreux textes autour de la photo. Elle a hérité son goût des images d’un père passionné par cet art et, en 1994, elle a publié chez Actes Sud Photos de familles, ouvrage réédité en 2011.
Ici, elle s’intéresse aux albums, ceux qui sont conservés dans toutes les familles. Chaque maison en a un ou plusieurs. Mais pourquoi photographier, choisir ces photos-là, les garder, les classer ? Autant de questions auxquelles tente de répondre l’auteure, elle même collectionneuse de clichés anonymes trouvés sur les marchés et les brocantes.
Quand nous, généalogistes, cherchons à mettre des noms sur les visages des photos, Anne-Marie Garat interroge ces mêmes images pour appréhender des vie, deviner des liens, percevoir des absences, comprendre un environnement social et historique… Il s’agit pour elle de faire revivre des existences simples et banales. Les observer peut permettre d’écrire de passionnants romans familiaux.
Ainsi, Anne Marie Garat est affligée en regardant la photo ci-dessus. Elle écrit :
« Le père et la mère portent les derniers chacun sur un genou mais la mise en scène semble plus justifiée par le goût de la symétrie qu’elle n’exprime un élan de tendresse […] Ils ne sont pas encore plantés dans la vie, comme les piquets que sont devenus les plus grands, chacun tuteur de soi, ligoté, autonome […] On reste saisi et désolé devant tant de sévérité, d’inquiétude ou de résignation, inscrite sous les fronts en une même barre noire de regards, tristes, tristes. »
Évoquer les photos de famille fait aussi penser au récit d’Isabelle Monnin Les gens dans l’enveloppe (éd. JC Lattès). Dans ce livre, l’auteure construit une histoire à partir d’un lot de photos achetées sur internet.
Le récit fictionnel constitue la première partie du livre, il est suivit d’une sélection de quelques-unes des photos puis, et c’est ce qui m’a le plus intéressé, du récit de l’enquête menée par Isabelle Monnin pour retrouver « les gens dans l’enveloppe ».
Là, on est au cœur de l’enquête généalogique. Comment, à partir de ces images anonymes, trouver des indices. Il faut alors observer les clichés familiaux devant la maison, dans le jardin, les portraits de vacances…. Mais je n’en dis pas plus, je vous laisse le plaisir de la découverte des indices qui vont lui permettre d’avancer !
Pour compléter cette approche généalogique, pourquoi ne pas regarder le documentaire À la recherche de Vivian Maier de Charlie Siskel et John Maloof. Ce film raconte comment un jeune Américain a fait sortir de l’ombre une talentueuse photographe jusque là inconnue et a retracé sa vie et son histoire.
Ou encore, revoir le feuilleton, via Twitter, de Clara Beaudoux qui découvre dans la cave de l’appartement qu’elle vient d’acheter tous les souvenirs de son ancienne occupante. Vous avez sans doute reconnu Madeleineproject qui vient juste de faire l’objet d’une édition papier aux éditions du sous-sol.
Ces ouvrages et ces enquêtes montrent, s’il en est besoin, combien sont précieux ces instantanés d’une autre époque, combien il est important de les garder, de les transmettre et bien sûr de les comprendre. Ainsi, vous pourrez découvrir quantités d’informations qui n’apparaissent pas dans les écrits.
Bonjour Sylvie,
Tout à fait d’accord pour essayer d’aller au-delà de la photo, et de reconstituer à partir d’elles, des fragments d’une histoire familiale. Après, attention aux anachronismes et aux transferts de notre regard sur le passé : l’analyse de la photo est certes pertinente – la symétrie, la sévérité – mais la photo au XIXe siècle n’a pas la même portée et les mêmes objectifs que la photo aujourd’hui : on se prend en photo parfois une fois dans une vie. Il aurait été impensable de sourire ou de ne pas paraître sérieux à cette occasion.
L’enquête généalogique à partir d’un lot de photos acheté sur Internet ou retrouvé sur des marchés aux puces (je pense à Hélène Soula qui avait récupéré des photos en recherchant ensuite à les restituer à la famille en question) je trouve cela passionnant et suis vraiment tenté par ce type d’aventure !
À demain,
Guillaume
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Je reponds à la place de Sylvie car cet article a été écrit à 4 mains et c’est moi qui ai choisi la photo et l’extrait. Je reponds donc, pour dire que je suis bien d’accord avec ton commentaire, que Garat aurait dû écrire que cette photo est plus l’illustration d’une époque sévère que d’une famille sévère (se rappeler toutefois que sa démarche est celle d’une romancière). Ces parents étaient peut-être aimants et ces enfants joyeux, on ne peux pas juger les gens sur une image (nous avons tous des portraits de nous-mêmes où nous ne nous reconnaissons pas). Pourtant, j’éprouve moi aussi en regardant ce cliché une peine, sans doute injustifiée, pour ces enfants pétrifiés.
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Je ressens également le même sentiment que toi, peut-être étaient-ils effectivement sévères, etc, mais c’est vrai qu’il est un piège à éviter à mon sens : c’est celui qui consiste à transposer notre regard (donc nos sentiments, nos sensibilités et nos vécus) sur le passé et nos ancêtres. Ce n’était même pas une critique directe à Garat qui romance – et sans doute avec justesse – à partir d’une photo, comme nous le faisons tous ! 🙂
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Je peux juste ajouter que le constat du sérieux sur un cliché, une seule photo dans sa vie, je le partage. D’ailleurs je l’avais déjà évoqué dans B comme Bertin.
Ici l’ouvrage d’Anne-Marie Garat permet d’aborder la photo sous un autre angle. Je suis d’accord sur notre regard qui peut fausser l’analyse en y mettant trop de choses personnelles. Cependant, je crois qu’il est possible de regarder une photo comme le fait A.M. Garat. Elle émet une hypothèse, comme nous le faisons souvent en généalogie.
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Je partage entièrement votre avis, vos lectures. J’aime beaucoup Anne Marie Garat et son dernier livre « La source » est de la même trempe. Le livre d’Isabelle Monin est tout aussi intéressant et puls proche d’un point de vue générationnel. en tant que généalogiste, je travaille beaucoup avec les photos de famille quand il y en a, et c’est toujours intéressant de faire parler les personnes sur ces supports de mémoire ; c’est souvent le moyen de « faire parler » une personne et de laisser ainsi le flot des souvenirs remonter.
Enfin, dans le même esprit, je vous conseille le livre de Jonathan Coe « La pluie avant qu’elle ne tombe », sur l’évocation du passé suite à des descriptions de photos.Mais peut-être le connaissez-vous.
Et c’est un plaisir de vous suivre pendant ce challenge !
Anne
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Merci Anne.
Je n’ai pas lu « La source » qui me tentait moins.
Merci pour le conseil du Jonathan Coe, je ne connaissais pas du tout ce titre.
Et j’aurais aussi pu mettre dans cet article un autre titre qui ma été soufflé il y a quelques jours, « Eux sur la photo » d’Hélène Gestern.
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Peut-être, un jour, retrouverons-nous les photos de mon frère photographe, décédé? Nous n’avons qu’une partie de ses photos! sa compagne de l’époque a probablement tout gardé puisqu’on n’a pas trouvé les plus belles dans son appartement!
Quant aux photographies anciennes, en effet, l’attitude sévère des personnes est due au fait qu’avec la technique de l’époque, il fallait ne pas bouger puisque le temps de pose était long; ça ne révélait donc pas leur vraie personnalité. Désormais, on a tant de facilité de saisir les expressions qui la dévoilent.
Je pense que pour l’époque des premières photos, la généalogie permet des découvertes plus profondes.
Merci pour cet article et notamment la bande annonce de ce film que je ne connaissais pas!
Marie
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Merci Marie.
Nous sommes attachés aux photos de nos proche, et sans doute plus encore quand ils nous ont quittés. j’espère que vous aurez la chance de les retrouver.
J’ai découvert un peu par hasard « À la recherche de Vivian Maier », c’est un documentaire passionnant autant pour les photos, témoignages d’une l’époque, que pour l’enquête qui permet de découvrir l’histoire de Vivian.
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