
En 1872, quand le recenseur de Saint-Laurs s’arrête à la maison n° 72 du village de la Rampière, il note que le chef de ménage s’appelle Maurice Guignolet, mineur de 58 ans. Il habite avec sa femme Marie Boudehan, 53 ans et leurs 2 filles, Anne 18 ans et Jeanne 14 ans, et tout ce petit monde serait né à Chantonnay. Le recenseur avait peut-être trop bu de Guignolet car il a eu bien du mal à comprendre ce que disait les déclarants. Il faut dire que ceux-ci n’avaient pas l’accent poitevin mais breton, venus du Finistère comme d’autres mineurs de Saint-Laurs.
Maurice Guignolet s’appelle en fait Maurice Guénolé et il est né en 1815 à Huelgoat (Finistère) dans une famille de cultivateurs. Il épouse en 1839 dans sa commune natale Françoise Boudehen, fille de meuniers, née en 1838 à Poullaouen.
La terre bretonne ne les fait sans doute pas suffisamment vivre. Le couple dans un premier temps cultivateurs à Berrien (Finistère) abandonne très vite le métier et le département natal. Le mari devient mineur, un métier qui réclame de plus en plus de bras au XIXe siècle dans toute la France. De nombreuses mines sont alors découvertes et exploitées partout en France (et pas seulement dans le Nord) comme je découvre en suivant à la trace la famille Guénolé. Au hasard des naissances des enfants, je retrouve la famille en 1845 à La Baconnière en Mayenne (mines de charbon), en 1854 à Bruz en Ille-et-Vilaine (mines de plomb argentifère), en 1857 à Saint-Dolay dans le Morbihan (mine de ?) et finalement en 1870 à Saint-Laurs (mines de charbon). Et il est possible que la famille ait vécu dans d’autres endroits que je n’ai pu trouver. Avaient-ils la bougeotte ou est-ce dû à la fermeture de puits ? Cinq enfants naissent au hasard des différents endroits où ils ont vécu : Charles en 1840 à Berrien, Olive en 1845 à La Baconnière, Anne en 1854 à Bruz, Barbe et Jeanne en 1855 et 1857 à Saint-Dolay. En 1872, au recensement, la famille est donc installée à la Rampière de Saint-Laurs, le village où réside la majorité des mineurs de la commune. Les 2 aînés ont quitté le domicile familial sans s’éloigner trop et Barbe est décédée à l’âge de 15 ans l’année passée. Il ne reste donc plus que Anne et Jeanne à vivre avec leurs parents. Maurice Guénolé, le père, exerce toujours le difficile métier de mineur.
Le journaliste Henri Gelin rend compte 17 ans plus tard du travail des mineurs dans un reportage « vécu » publié suite à sa visite avec un compagnon dans la mine Sainte-Claire à Saint-Laurs (Mémorial des Deux-Sèvres du 4 mai 1889). En voici un extrait qui raconte la descente au fond du puits. Cela ressemble beaucoup à ce qu’a dû connaitre quotidiennement Maurice Guénolé à Sainte-Claire, Sainte-Clotilde ou Saint-Laurent.

… Nous pouvons procéder aux derniers préparatifs de toilette, revêtir le solide imperméable, coiffer le chapeau de cuir bouilli muni d’une lampe avec son garde-eau.
Nous nous perchons sur les bords de la benne, ou tonne au charbon. Notre guide, un vigoureux porion, moustachu comme un vieux chat, tête grisonnante aux traits sympathiques, fortement modelés, donne le signal de la descente ; le mécanicien fait basculer son levier, les câbles glissent et nous voilà dans le vide […] Nos yeux se font peu à peu au jour livide que les lampes promènent sur les roches noires et leurs étais de bois […]. Au milieu de la descente que notre guide fait, à notre intention, opérer avec une sage lenteur, nous croisons la benne de retour chargée de houille…
La profondeur totale à Sainte-Claire est de 180 mètres. […] des niveaux d’extraction sont établis de 40 mètres en 40 mètres à partir du niveau supérieur profond de 60 mètres. Dans la descente, nous apercevons successivement les entrées béantes des galeries ouvertes à 60, 100 et 120 mètres. Nous ne descendons pas plus bas par la tonne : nous atteindrons les niveaux inférieurs à l’aide d’échelles […]
En étudiant la vie de Maurice Guénolé, je devine aussi les possibles conséquences humaines du travail de mineur. Le métier est difficile et Maurice boit, sans doute trop, peut-être même du Guignolet. Les tentations sont nombreuses, il y a plusieurs bistrots à Saint-Laurs pour distraire une clientèle à la vie âpre.
Il boit et il vieillit très mal. 8 ans plus tard, le 22 août 1880, Maurice Guénolé âgé de 65 ans est interné d’office à l’hospice de Niort pour démence sénile, à la demande du maire de Saint-Laurs et sur certificat médical. Si au début l’avis du médecin de l’hospice est plutôt encourageant (pas de signes caractéristiques de folie – vieillard affaibli d’intelligence), les rapports deviennent vite moins optimistes même s’il est jugé assez tranquille (démence sénile – démence alcoolique – incurable – à maintenir) et ne laissent pas l’espoir de le voir guérir et sortir.
Il décède le 15 février 1883 de paralysie générale.

De Guénolé à Guignolet… Ça m’a bien fait rire ce matin !
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J’ai trouvé moi aussi l’erreur amusante. La fin de sa vie est malheureusement pas vraiment rigolote.
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Oui, petit jeu de mots humoristique, mais triste fin de vie.
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