
Il y aurait eu des religieuses employées par les Houillères ? Pas tout à fait mais presque ! Au recensement de 1872, à la Rampière de Saint-Laurs, le village où habitent de nombreuses familles de mineurs, je découvre les noms de 3 religieuses Madeleine Couturier 32 ans, Célina Rideau 27 ans et Marie Prat 22 ans dans la même maison.
La première est « chef de ménage ». Elles appartiennent toutes les trois à la congrégation des Filles de la Croix basée à La Puye, dans le département voisin de la Vienne. Cette congrégation a été fondée au début du XIXe siècle par André-Hubert Fournet, curé de Saint-Pierre-de-Maillé, et Jeanne-Élisabeth Bichier des Âges. Elle se fixe comme missions l’éducation des enfants et le soin des malades. Installée à La Puye en 1819, elle connait une rapide expansion puisqu’elle compte 20 ans plus tard 600 religieuses réparties en 99 endroits de France. La relative proximité entre Saint-Laurs et La Puye, l’essor de cette communauté religieuse et la culture catholique des propriétaires de la mine, toutes ces raisons font que ce sont les Filles de la Croix qui sont sollicitées en 1856 par les Houillères de Saint-Laurs pour enseigner aux filles de mineurs. Comme les religieuses peuvent aussi s’occuper des malades, elles sont aussi responsables de la pharmacie des mines.
En 1856, les fillettes de Saint-Laurs n’avaient pas accès à l’instruction alors que depuis 1843 les garçons pouvaient bénéficier de l’enseignement d’un instituteur communal, Louis Mathé. Les Houillères décident que les religieuses ne doivent enseigner qu’aux filles des employés de la mine. Leur école n’accueille pas celles des journaliers ou artisans de la commune.
Cela ne va pas tarder à créer des complications à Saint-Laurs car, depuis 1867, les communes de plus de 500 habitants ont obligation de créer une école pour toutes les filles. En 1875, Paul de la Fare, directeur de Houillères, dans un courrier fait du « chantage » aux subventions à la mairie :
Monsieur le Maire
J’ai l’honneur de vous informer que le conseil d’administration des mines de St-Laurs a résolu de mettre à votre disposition, pour la construction de la maison d’école des filles, la somme de deux mille cinq cents francs à titre de subvention, toutefois, à charge par la commune de prendre les engagements suivants :
1. de conserver à la tête de l’école des religieuses de l’ordre de La Puye
2. il est également stipulé que la pharmacie de l’association des ouvriers devra continuer à être tenue par les religieuses et qu’un local spécial sera affecté à cet effet
3. dans le cas où pour une cause quelconque le conseil municipal ne voudrait plus conserver les religieuses, il devra être expressément entendu et accepté par le conseil municipal que la subvention ci-dessus précitée sera reversée aux donataires et de plus en payer les intérêts à 5% à partir du jour où la subvention aura été versée […]
P. De la Fare
Quelques années plus tard, la mairie obéira à la Loi et une institutrice laïque sera nommée dans la nouvelle école. Les Houillères ne feront pas preuve de générosité en exigeant alors le remboursement des 2 500 francs.

En 1872, le problème n’est pas encore crucial. Le recenseur note que les trois religieuses sont toutes nées à Vasles à l’est du département. J’en doute très fortement car je n’ai trouvé aucune trace d’elles dans cette commune. Les recherches sur les religieuses ne sont pas faciles, d’autant plus quand il y a des fausses pistes. Ces femmes laissent peu de traces dans les actes comme elles n’ont pas d’enfants. C’est en cherchant sur la commune de La Puye que j’ai pu peut-être retrouver les traces de deux d’entre elles.
Madeleine Couturier pourrait bien être Madeleine Virginie Couturier, religieuse décédée à La Puye le 26/3/1904 à l’âge de 71 ans. Elle serait alors la fille de Jean Couturier (cultivateur propriétaire) et de Marie Anne Métayer, née à Verruyes le 22 mai 1832. Le couple a eu 7 enfants et Madeleine est la benjamine. Cette hypothèse est à vérifier car ça voudrait dire que le recenseur de Saint-Laurs en 1872 se serait trompé sur l’âge (il a écrit 32 ans ou lieu de 40) en plus du lieu de naissance.
Célina Rideau aurait pour parents Auguste Rideau, boulanger, et Marie Brecheau qui habitent à La Puye au moins depuis 1866. Ce couple s’est constitué le 23 octobre 1833 à Brion-près-Thouet dans les Deux-Sèvres. Ils ont eu deux filles, Marie Prudence Rideau née à Brion le 6/3/1841 décédée en religion à Paris en 1901 à 60 ans et Joséphine Rideau née le 8 mai 1845 elle aussi à Brion qui pourrait bien être ma Célina Rideau. La vocation de sa sœur, l’âge, le domicile de ses parents à La Puye, travaillant sans doute pour la communauté religieuse, tout m’incite à le croire. Célina Rideau est toujours religieuse institutrice en 1896 mais cette fois à Aigre en Charente.
Pour Marie Prat, j’ai trouvé 2 religieuses portant ce patronyme décédées à La Puye mais aucune ne semble être celle âgée de 22 ans en 1872 à Saint-Laurs et donc née vers 1850.
- La 1re, fille de Dominique Prat et Pauline Salles née à Ibos (Hautes-Pyrénées), est morte le 15 avril 1902 à l’âge de 67 ans. Elle serait née en 1835.
- La seconde, fille de Jean Paul Prat et Jeanne Dupleix, née à Pinas (Hautes-Pyrénées), est morte le 4 janvier 1906 à l’âge de 84 ans. Elle serait née en 1822.
- Si on ajoute celle née vers 1850 portant les mêmes nom et prénom, je me pose la question : existait-il un trafic de religieuses nommées Marie Prat entre le sud-ouest et La Puye ?
Quoi qu’il en soit, Madeleine Couturier, Célina Rideau et Marie Prat ne restent pas longtemps à Saint-Laurs puisque en 1876 elles sont toutes les trois remplacées par Hélène Thomas, 50 ans (sœur Louise Adélaïde), Jeanne Leblanc, 50 ans (sœur Alliaume) et Élisabeth Moncel, 21 ans (sœur Hilaire Sophie). La congrégation des religieuses de La Puye abandonne définitivement l’enseignement des filles à Saint-Laurs en 1884, 2 ans après les lois de Jules Ferry sur l’école laïque et obligatoire. Elles ne seront pas restées très longtemps dans l’école de filles toute neuve ouverte à la rentrée 1879.

Votre commentaire