À la fin de l’année 1709, Brunet, le curé de Chanteloup s’autorise pour une fois de rajouter dans son registre d’actes religieux une note résumant l’année passée.
« Il y a eu dans cette année 1709 quatre choses très remarquables, le grand froid, la disette de grain par conséquent la famine bien grande, plusieurs et grands impôts et une très grande guerre.
Et le pis de tout disette de vin. »

1709 fut effectivement une année terrible à Chanteloup et dans toute la France. Cette année-là, Louis XIV, en fin de règne, s’obstine à continuer la « Guerre de Succession d’Espagne » qui oppose depuis 1701 le royaume de France à ses nombreux ennemis (Grande-Bretagne, Autriche, Prusse, Saint-Empire…). Les impôts, lourds, injustes, sont très durement ressentis. Mais surtout, 1709 est restée dans l’Histoire comme l’année du « Grand Hiver », avec des températures très basses (jusqu’à -20°C) du 6 janvier à fin mars. Tout le monde grelotte, la terre est gelée, le gibier disparait, les arbres gèlent également. Durant ces 3 mois, les personnes les plus fragiles sont nombreuses à mourir à Chanteloup comme ailleurs.

Mais c’est encore après que les conséquences les plus dramatiques se font sentir : les récoltes sont mauvaises, il y a pénurie de grain, les prix s’envolent, c’est la famine et la misère dans tout le royaume. Pourtant, ce qui est le plus terrible pour le curé de Chanteloup, c’est la disette de vin.
Cela révèle l’importance de cette boisson au XVIIIe siècle. À cette époque, la France est couverte de vignes et le vin est considéré comme une boisson potentiellement plus saine que l’eau, qui n’était pas toujours potable. Or, durant le « Grand Hiver », le vin a gelé dans les barriques comme dans les carafes et la presque totalité des vignes a péri suite au grand froid. La pénurie de vin dura donc encore plusieurs années, le temps que des ceps soient replantés et donnent à nouveau du raisin. Le curé de Chanteloup dut sans doute trouver les années qui suivirent « remarquables » !