Comme je vous le disais dans mon article précédant, René Nargeot et Jeanne Souchard ont vécu de 1779 à 1782 à Rochefort où René est venu travailler comme charpentier de marine dans l’arsenal de cette ville.
En recherchant les enfants de ce couple, j’ai été amenée à regarder plus attentivement les registres des naissances pour la paroisse de Saint-Louis. Ce que j’y ai trouvé brosse un tableau de la vie en ville bien différent de celle d’un village de Gâtine.
En 1780, 411 enfants naissent dans la paroisse de Saint-Louis à Rochefort, et à chaque fois le prêtre note la profession du père. Parmi eux, 10% sont des enfants de charpentiers, ce qui montre l’importance de cette corporation.
Outre les charpentiers de nombreuses professions sont directement liées à la construction navale : on trouve bien sûr des cordiers (5%), la Corderie Royale a été construite à partir de 1666, mais aussi des calfats, des pouliers, des perceurs, des menuisiers, forgerons, fondeurs… Ensemble ils représentent 18% des métiers et très souvent il est noté qu’ils exercent « dans le port ».

Autre corps de métier bien présent, celui des hommes d’équipage. On voit des marins, des soldats marins, des officiers de marine (13%). Certains sont en mer, et le prêtre cite alors le nom de leur bateau, comme l’Invincible, la Courageuse, la Magnanime ou encore la frégate la Fée.
Il faut bien aussi nourrir toutes ces familles et préparer les expéditions maritimes. Les métiers de bouche sont largement représentés, certains travaillent directement pour le port et à la gestion du magasin général, s’occupent des vivres, d’autres sont en ville. A cela s’ajoute quelques notables et professions diverses.
On remarque enfin des officiers du bagne. Depuis 1777 un bagne est installé à Rochefort, il est l’un des trois grands bagnes de l’époque, avec Toulon et Brest. Les bagnards, presque uniquement des condamnés à perpétuité, sont employés aux travaux les plus durs. Ils remplacent très vite les ouvriers pour haler les bateaux de la rade de Rochefort jusqu’à la mer.
Chaque navire est tiré à la force de ces hommes, attachés à une cordelle sur chaque rive. L’opération est difficile et à haut risque car, dans les méandres de la Charente, une de ces cordelles peut se détendre sur une rive, avant de se tendre subitement, et prendre à revers une centaine de bagnards. Ainsi fauchés, ils meurent sur le coup.
Cependant, le plus surprenant pour moi qui suis habituée aux registres des campagnes deux-sèvriennes, c’est le nombre d’enfants nés de parents inconnus. Pour la seule année 1780, ils sont 50, soit 12% des naissances, et je ne compte pas ici les enfants morts avant d’avoir pu être baptisés !
L’abandon d’enfant est un phénomène important au 18e siècle. À Rochefort, à cette époque, il existe une tour d’abandon ou coffre du roy, sur le modèle initié par Saint Vincent de Paul.
Qui sont ces enfants ? Des fils de prostituées ? Des enfants nés hors mariage ? Des nourrissons abandonnés par un couple qui ne peut nourrir une bouche supplémentaire ? Sans doute un peu tout cela, mais la proportion reste énorme. Et avec des conditions de vie très dures, on peut supposer que beaucoup mouraient en bas âge. Le taux de mortalité infantile à cette époque est de 20% et il doit être encore plus importants pour ces bébés abandonnés.
Ainsi, en cette deuxième moitié du 18e siècle se dresse la portrait de la ville. La population de Rochefort a beaucoup grossi, on compte près de 20 000 habitants, on peut imaginer la cité grouillante de monde que découvrent René et Jeanne. Les chantiers sont bruyants, les rues animées, on y croise des bagnards (certains travaillent pour des bourgeois en ville) et toutes les professions, du notable au plus humble ouvrier. Les enfants traînent dans les rues, certains sont sans doute des enfants abandonnés, les prostituées sont nombreuses dans le port. Notre couple a pu aussi voir, sans doute pour la première fois, des noirs. Les registres font mention de 2 baptêmes d’adolescents noirs en 1778 et 1781.
Cette vie de charpentier de marine, René va la quitter en 1782, après le décès de son épouse, il revient alors à Champdeniers où il se remarie en 1783. Il a 7 enfants avec sa seconde épouse et semble être resté jusqu’à la fin de sa vie dans cette paroisse.
A-t-il raconté sa vie à Rochefort ? C’est possible. Mais aura-t-on cru tout ce qu’il racontait ? Pas sûr….
Sources :
Registre des Baptêmes et abjurations, Rochefort Saint-Louis, 1780-1788
L’arsenal de Rochefort
La vie au bagne de Rochefort sous le premier Empire
Un article de Sud-Ouest sur le bagne
Abandon des enfants nés hors mariage
Bravo et merci pour cette passionnante découverte de Rochefort au 18ème siècle. On s’y croirait !
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Merci ! J’ai aimé me plonger dans la vie de cette ville, je suis contente que ça vous ait plu.
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