Sur les monuments aux morts de la guerre 14-18, il n’est pas rare de voir les noms de toute une fratrie. J’ai déjà raconté comment, pour leur part, mon grand-père Hubert Deborde et son frère Alcide ont été faits prisonniers durant ce conflit. Et j’ai aussi déjà parlé là d’Émile Nueil, le frère de mon arrière-grand-mère, mort en 1915 à Massiges. Pour le Généathème du mois de novembre dédié à la Première Guerre mondiale, j’ai choisi de montrer comment une autre fratrie, celle de mon arrière-grand-père Pierre Blais, a traversé cette période.
Pierre et ses 4 frères sont les fils de Pierre-Jacques Blais et de Marie-Françoise Merceron qui se sont mariés en 1867 à Montigny (Deux-Sèvres). Le couple, cultivateurs à Cirières puis à Saint-Aubin-du-Plain, a 11 enfants, 5 garçons et 6 filles, entre 1868 et 1890. Après le décès du père en 1895, la famille s’installe à la ferme du Petit-Jars à Terves. Lorsque la guerre est déclarée, les 5 frères Blais sont théoriquement tous en âge d’être mobilisés.

L’aîné, mon arrière-grand-père, Pierre aurait ainsi pu faire partie de la réserve de l’armée territoriale puisqu’il appartenait à la classe 88. Ce ne fut pas le cas. Pour quelle raison ? Cette classe d’âge (45 ans au début des combats), la plus âgée mobilisable, fut finalement peu appelée et seulement à partir de 1916. C’est peut-être parce qu’il était marié et en charge de 3 enfants. Peut-être aussi parce qu’il avait été exempté, et ce dès 1889, en tant qu’aîné d’une famille nombreuse.
Le deuxième frère, Constant, de la classe 1892, aurait dû lui aussi, dès 1914, rejoindre la réserve de l’armée territoriale. Grâce aux tables alphabétiques de recensement militaire, je sais qu’il a été exempté de service militaire quand il avait 20 ans, mais j’en ignore la cause (santé, situation familiale ?) car il n’y a pas de fiche de registre matricule à son nom. Il est donc resté à la ferme comme son frère aîné et n’a pas eu à tenir des missions de surveillance du territoire réservées à sa classe d’âge.
C’est donc le 3ème, Henri, qui sera le plus âgé à partir se battre. Il avait pourtant lui aussi été dispensé de service militaire en 1900 pour cause de soutien de famille (c’était assez souvent le cas pour les familles nombreuses à la campagne). En 1914, il a 36 ans et est marié depuis 4 ans quand il doit aller combattre les Allemands. Il est incorporé dans le 67ème régiment d’infanterie. Pour lui, la guerre s’arrête brutalement et rapidement, le 10 juin 1915. Ce jour-là, il est grièvement blessé par un éclat d’obus. Son registre matricule ne dit pas où et c’est un mystère pour moi. Quand je lis le journal de marche de son régiment à cette date, c’est une des rares journées sans combats, où les soldats peuvent vaquer à peu près calmement (repos, toilette, nettoyage des armes…).

Il y a certes 2 blessés ce même jour, mais sûrement pas par des éclats d’obus qui auraient impliqué un combat. Henri avait-il changé de régiment ? Ce n’est pas mentionné sur sa fiche militaire. Ce que j’y apprends, c’est que ses blessures sont nombreuses et graves : il est touché à la main droite qui restera handicapée, il souffre aussi d’éventration, et de plaies dorsales. Il est réformé en 1916 avec une invalidité de 80%, portée à 85% après la guerre, en 1932.
Le 4ème, Lucien, avait fini son service militaire en 1905 avec le grade de caporal. Il est célibataire et a 33 ans quand il part lui aussi pour le front. Il rejoint d’abord le 114ème régiment d’infanterie de ligne de Saint-Maixent-l’École. Il est ensuite affecté à d’autre régiments (128e, 90e) et il traverse cette longue guerre sans blessure physique ou fait d’arme mentionné.
Enfin, le benjamin, Auguste était sous les drapeaux depuis le 10 octobre 1911 au 32e RI de Châtellerault quand le conflit mondial débute. Ce caporal de 24 ans a donc finalement servi la France pendant 8 ans de suite, jusqu’au 12 août 1919. La déveine le poursuit particulièrement puisqu’il enchaîne blessures et maladies. 3 pages de dossier militaire détaillent tous ses malheurs : il est malade et hospitalisé 1 mois à Rochefort dès septembre 1914. Il est ensuite blessé le 15 janvier 1915 à Zonnebeke (Belgique) à la main gauche et est soigné pendant 1 mois. Il attrape la scarlatine en aout 1915, ce qui entraîne une nouvelle hospitalisation d’1 mois. Il souffre de la gale en octobre 1916, puis d’une sévère bronchite en décembre 1916. Il est à nouveau blessé par un éclat d’obus, le 9 mai 1917 à Cauroy-lès-Hermonville (Marne), à la main droite et à la jambe gauche. Cela n’empêche pas Auguste d’être un soldat apprécié de sa hiérarchie.

Il est promu sergent et est cité à de nombreuses reprises : … « A été un bel exemple pour ses hommes par le courage et l’entrain qu’il a apporté en ravitaillant en munitions les 1ères lignes françaises au cours d’une attaque »… « A enlevé sa 1/2 section avec beaucoup d’allant à l’attaque de la position ennemie malgré des feux violents de mitrailleuses, atteint rapidement son objectif et l’a organisé judicieusement prévenant ainsi toute contre attaque de l’ennemi »… « Chef de section énergique, a été très brave, a commandé sa section d’une façon remarquable au cours des attaques des 18 et 25 juillet 1918 a atteint des objectifs malgré de très violents tirs d’artillerie et de mitrailleuses »… « excellent gradé, s’est conduit d’une façon admirable à l’attaque du 18/8/1918 s’élançant à la tête de ses hommes sur un blockhaus emménagé défendu par de nombreuses mitrailleuses. » A la fin de la guerre, il est pensionné à 40% suite à ses blessures. En récompense de ses faits d’armes, il obtient la Croix de guerre, la Médaille militaire en 1924 et enfin la Légion d’honneur en 1954.
Pour la famille Blais, voir ses 5 frères vivants le 11 novembre 1918 peut sembler une chance quand on pense aux nombreux morts qu’a fait la Première Guerre mondiale. La chance, elle est assurément pour les 2 aînés qui ont pu échapper de justesse à la mobilisation générale. Mais pour les 3 plus jeunes, qu’en est-il vraiment ? Henri est revenu très handicapé. Lucien a été indemne dans sa chair mais a été forcément traumatisé par ces années volées et par ce qu’il a vécu, comme toute une génération de jeunes hommes. Et Auguste, même s’il a été récompensé pour son courage par des médailles et des citations, n’en a pas moins souffert et il a dû défendre sa cause pendant près de 20 ans afin de faire reconnaître son invalidité. J’ai sans doute lu beaucoup de BD de Jacques Tardi* consacrées à la guerre 14-18, mais, pour moi, mort ou vivant, aucun soldat d’aucun camp n’a vraiment eu de la chance durant ces années-là.

*Pour ceux qui connaissent mal l’univers de la BD, Jacques Tardi est un auteur reconnu qui a consacré une grande partie de son œuvre à la guerre 14-18. Son intérêt pour ce conflit doit beaucoup à son grand-père qui lui racontait ses souvenirs de guerre lorsqu’il était enfant. Ce sont des ouvrages qui montrent sans détour la violence de combats dépeints comme une boucherie et dénoncent la bêtise de la guerre, à lire d’urgence en ces années de commémoration. (Tardi est aussi le créateur des aventures d’Adèle Blanc-Sec. Je me suis permis d’emprunter le portrait d’un de ses personnages, Félicien Mouginot, pour en faire mon avatar, même s’il ne me ressemble pas vraiment.)
très bel article, fouillé et bien documenté. Cela me donne l’idée d’étudier également comment ma famille a pu vivre cette guerre. J’en ai entendu parler mais je ne l’ai pas encore écrit.
Benoît « Mes Racines Familiales »
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Merci beaucoup Benoît. C’est sûr que c’est le moment de se souvenir et d’écrire sur la guerre de 14-18, centenaire oblige !
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