Il est des personnages de son arbre auxquels on s’attache davantage. C’est peut-être grâce à un prénom ou un nom qui sonne bien à l’oreille (comme Modeste Brouillard). Ou bien, c’est pour un destin particulièrement tragique ou singulier. Ou encore, c’est à cause du temps passé à rechercher ses parents. Marie Jeanne Cérénie Vergnault, mon SOSA 135, a réuni pour moi ces 3 conditions : ce drôle de prénom, Cérénie, que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs ; son décès précoce ; enfin et surtout beaucoup d’heures passées pour trouver ses ascendants. Aussi, quand, il y a peu, aux A.D. des Deux-Sèvres, en fouillant dans une liasse de notaire (Me Alexandre Texier), je suis tombé par hasard sur ceci, « Testament fait par Marie Jeanne Vergnault au profit de Jean Billeau son mari du 16 septembre 1762″, j’ai ressenti un étrange sentiment mélangé : la joie de trouver un acte important pour moi, mais aussi la tristesse de voir une très jeune femme de 21 ans devoir faire son testament.

Pourtant, la rédaction de ces testaments (il y en a 2, presque identiques en réalité) est faite dans le style froid et factuel des notaires, avec beaucoup de formules répétitives, au cas où on aurait mal compris (« j’ai mandé, requis et fait venir… », « je donne, lègue et laisse… », « sans suggestion, induction, ni persuasion… »), avec un vocabulaire spécifique (« la testatrice », « les biens, meubles et immeubles », « l’exécuteur testamentaire »). On voit bien qu’il s’agit d’actes notariaux rédigés dans les règles et non d’un texte librement écrit. De même, les nombreuses prières religieuses dans ces documents obéissent sans doute, là aussi, aux injonctions de l’époque. J’aurais pu enfin être déçu par le peu d’informations strictement matérielles contenues dans ces actes (pas de description du mobilier et des avoirs).
Il n’empêche, pour moi, l’émotion est bien là. Les prières sont sûrement sincères. Je ressens un certain fatalisme face à la mort (« considérant toujours la certitude de la mort et l’incertitude de l’heure… ») dû à la certitude que Dieu existe (« ..comme bonne chrétienne et de la religion catholique apostolique et romaine dont par la grâce de Dieu je fais profession… j’ai l’honneur d’invoquer, et particulièrement la sainte Vierge, saint Jean et sainte Cérénie, mes patrons et patronnes, qu’icelle -mon âme- séparée de mon corps ils veuillent la recevoir dans son saint Paradis au rang des bienheureuses… »)
Et puis, je perçois cette maladie qui l’oblige à faire ce testament car elle est « détenue d’une maladie corporelle depuis quelque temps », « gisante au lit, malade dans la dite maison » mais « saine d’esprit, mémoire et entendement ». Je devine le cadre « …le village des Barangeries en la paroisse de Chanteloup en la maison et demeure de Jean Billeau, bordier… dans une chambre basse ». Il y a du monde qui se serre dans cette petite pièce : les 2 notaires venus de Terves et de Bressuire et les 2 témoins Jacques Clochard, laboureur et Jacques Girardeau, bordier. Il y a peut-être aussi Pierre Baudu, exécuteur testamentaire et maître maçon tailleur de pierre qui doit réaliser la pierre tombale de la jeune femme. Manquent, sans doute volontairement, le mari et les beaux-parents.

Je vois enfin les dispositions qu’elle prend. Elle dit vouloir que « …son corps soit inhumé et enterré en le cimetière de la dite paroisse de Chanteloup, à l’endroit où ses père et mère ont été enterrés » et « …qu’il y ait luminaire, prière et cérémonie à l’ordinaire suivant sa qualité, qu’y soit fait un service de quinzaine après son décès ». Il y a aussi ces quelques mots pour son mari, à qui elle lègue tous ses biens, le « …dit Jean Billeau, son mari et ami, pour l’affection et la bonne amitié qu’il lui a porté et porte dans la dite maladie afin qu’il se souvienne de la dite testatrice en ses prières ».
Je découvre surtout, à la fin du testament, la signature maladroite d’une jeune femme de 21 ans, affaiblie, malade, qui croit qu’elle va mourir.

La mort n’a finalement pas voulu si tôt de Marie Jeanne Cérénie Vergnault. Elle a guéri et a donné naissance, 6 ans plus tard, le 2 avril 1768, à une petite fille, mon aïeule elle aussi, prénommée Marie Jeanne, comme elle. Sa santé devait cependant être fragile puisque ce fut son unique enfant et qu‘elle décéda le 14 mai 1773 à Chanteloup, âgée de seulement 32 ans, 11 années après avoir rédigé un testament prématuré.
Cette histoire est bouleversante … Merci Raymond de l’avoir partagée.
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…et merci Nathalie de l’avoir appréciée
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bonjour, Son prénom était en fait Cyrénie (du grec curios) ou encore une variante du prénom Cyre. Il existe aussi Cyrène. Je vous renvoie à l’excellent ouvrage des prénoms de France de Nadine Cretin (Perrin) page 146
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Merci beaucoup pour la précision et la référence ! J’avais cherché en vain de quel prénom Cérénie pouvait se rapprocher. A ma décharge, le prénom de Cyrénie est si rare que même mon ancêtre qui le portait ne l’écrivait pas et sans doute ne le prononçait pas correctement. Elle signait « Cérénie », l’autre écriture que j’ai trouvée parfois dans les actes est « Sérénie ». Du coup, je pense que je vais laisser l’écriture erronée.
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Beau récit.
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Merci beaucoup !
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J’ai bien aimé
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Merci beaucoup également !
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