J’avais mis de côté le premier des 2 procès verbaux de noyade (celui daté du 9 floréal an VII soit 28 avril 1799) du registre des décès de Louin. En causes, une transcription un peu plus difficile et un décès un peu plus énigmatique.
Maintenant que ce travail est fini, je me rend compte que ce texte a beaucoup de ressemblances avec celui de 1801 alors que le rédacteur est différent. Je retrouve le même plan de narration et le même style d’écriture, cela est dû à la nature de l’écrit et à la période post-révolutionnaire. Mais, j’ai trouvé aussi beaucoup d’éléments intéressants. Et je ne pouvais pas garder pour moi un document qui cite un dénommé Rousseau habitant à Voltaire*.
Plus sérieusement, je m’étonne que l’enquête sur la noyade n’ait pas été poussée plus loin. L’identité du noyé n’a pas été trouvée. Le lieu de la noyade (un fossé ?), la présence d’un sabre et l’absence de chaussures sur lui ou à proximité m’interrogent également. L’officier de santé (le susdit Augustin Rousseau de Voltaire) n’a rien vu de suspect, mais a-t-il bien fait son travail ? Autre questionnement, l’habillement et les objets trouvés sur le défunt, très précisément décrits, ne me semblent pas correspondre à ceux habituels des villageois. Derniers motifs d’intérêt ou d’étonnement, j’apprends comment on pouvait recruter et payer des fossoyeurs !
Voici donc le texte trouvé dans le registre (Louin, 1793-an X, décès, vue 38 et 39/72). J’ai gardé les mêmes règles de transcription que pour l’autre procès verbal de 1801 (style et tournures respectés, mais orthographe et ponctuation corrigées et intertitres rajoutés.)
La découverte du cadavre
L’an septième de la République française, une et indivisible et le neuf floréal, en notre demeure et devant nous Jacques Belliard, juge de paix du canton de Voltaire a comparu Pierre Poupard, agent municipal de la commune de Louin et y demeurant, lequel nous a dit qu’étant sur le chemin dudit lieu de Louin allant de Voltaire sur main droite au lieu appelé L’Ordegoux et dans un fossé de la rivière Chenevierre à Vincent Marsaut il a aperçu un cadavre flottant sur l’eau et qu’étant parvenu à retirer le dit cadavre il l’a déposé sur le bord du fossé et est venu nous en prévenir et, le dit comparant interpellé de signer sa présente déclaration et a signé, ainsi signé Poussard agent.
Les premières constatations
Sur quoi, nous juge de paix susdit ayant fait appeler deux citoyens de la dite commune, lesquels sont les citoyens Louis Rolland et Martin Marsaut nous sommes transportés, assistés comme dit est, où étant arrivés au dit endroit ci-dessus dit y avons trouvé le cadavre en question et après l’avoir examiné nous avons remarqué que c’est celui d’un homme âgé d’environ cinquante à cinquante-cinq ans, cheveux gris, taille d’environ cinq pieds deux pouces vêtu d’un habit bleu de cadis d’Aignan*, gilet rouge, drap écarlate, un autre gilet par dessous rayé en bleu, une mauvaise chemise, culotte de peau jaune, bas gris en laine tricotée à côtes et nu pied, un chapeau moitié usé. N’ayant aucune blessure, ayant trouvé dans ses poches une mauvaise cravate ensoyée, deux mauvais mouchoirs de poche, une craie d’écritoire* en cuivre jaune, une jarretière, une bouteille de coyer*, un mauvais bonnet de laine blanc, un couteau à havette*, et dans ses poches de culotte, il s’y est trouvé un franc et quatre-vingt-cinq centimes, et sans aucun papier, il fut trouvé auprès dudit cadavre un sabre et son ceinturon,

Le rapport du légiste
et ayant fait appeler un officier de santé, est comparu le citoyen Augustin Rousseau, officier de santé demeurant commune de Voltaire, lequel après examen fait dudit cadavre nous a rapporté qu’il n’a aucune blessure, contusion ou extravasation*, et n’avoir que la bouche bavante, qu’il paraît avoir séjourné dans l’eau l’espace de sept à huit heures, et qu’il n’est pas possible de lui accorder aucun secours
Les dispositions funéraires
et personne n’étant venu réclamer le dit cadavre nous l’avons délaissé au dit citoyen Poupard agent municipal qui s’en est chargé pour le faire inhumer au champ de repos de la dite commune de Louin. Les vêtements et effets du dit cadavre ont été évalués neuf francs qui pourront par le dit citoyen Poupard être distribués à ceux qui l’assisteront en son inhumation.
De tout quoi nous avons fait procès verbal que nous avons signé au dit lieu où été trouvé le dit cadavre le jour et an de l’autre part ainsi signé à la minute du procès verbal
Rousseau, Rolland, Martin Marsault, Jacques Belliard juge de paix et Cochon greffier.
Le greffier mérite en partie son nom car j’ai eu un peu de mal à retranscrire certains mots, mais cela est dû surtout à mon inculture ! Merci donc à celui et à celles (Sylvie, Françoise(s), Bernadette, Claudine, Isabelle, Nicolas…) qui m’ont aidé à les reconnaître et m’en ont donné la signification !
* Voltaire correspond à Saint-Loup-sur-Thouet dans les Deux-Sèvres. Le nom de l’écrivain a été brièvement donné à cette commune pendant la Révolution car la famille de Voltaire (les Arouet) est originaire de ce village. Certains spécialistes émettent d’ailleurs l’hypothèse que Voltaire aurait créé son nom d’écrivain à partir d’une autre commune toute proche du département, Airvault, en inversant les 2 syllabes (Vault-Air = Voltaire)
* Le cadis est un tissu de laine. Les propriétaires d’une manufacture de Montauban, les Aignan, en ont produit sur plusieurs générations. C’est sans doute ce tissu qui est cité dans le texte.
* Le crayon a été inventé en 1795 par Conté. Avant, en concurrence avec la plume, on utilisait un tube métallique fendu et muni d’une petite bague coulissante pour maintenir une mine (craie, plombagine…) Si j’ai bien lu, il s’agit donc peut-être d’une sorte de porte-mine.
* Une bouteille de coyer est une bouteille de courge en d’autres termes une gourde.
* Sans doute un couteau à crochet (un havet est un crochet.)
* Extravasation : sortie non souhaitée d’un liquide hors de son canal vers les tissus qui l’entourent.
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