Homme de peine, laboureur à bras, journalier… autant de noms pour désigner en Poitou la profession de ceux qui étaient en bas de l’échelle sociale dans le monde du travail agricole avant la Révolution.
Au-dessus d’eux, les laboureurs à charrue, métayers et bordiers, exploitaient une ferme qui ne leur appartenait pas et ils payaient en nature et (ou) en argent au propriétaire une part variable ou fixe de leurs récoltes.
En-dessous, les domestiques, serviteurs et valets louaient leur service au mois ou à l’année.
Tout en bas, les hommes de peine, laboureurs à bras, journaliers étaient employés à la tâche. On faisait appel à eux surtout entre la saint Jean et la saint Michel, saison où les travaux agricoles étaient nombreux et devaient s’accomplir en toute hâte. Il fallait de la main-d’œuvre pour faucher au dail les prés afin de faire les foins. Ensuite, c’était la période des métives : avec des faucillons, on devait scier les épis mûrs de seigle ou de blé et les mettre en gerbe. Enfin, il fallait battre au fléau les grains sur l’aire pour les extraire de leur balle. Autant de travaux qui nécessitaient du monde, de la force et de la sûreté dans le geste. En dehors de cette période, l’offre de travail était moindre : un propriétaire pouvait leur demander de planter les haies caractéristiques des paysages de Gâtine et du Bocage ou de réaliser divers travaux de maçonnerie, de transport, de terrassement… Pour survivre, les hommes de peine étaient donc souvent aussi propriétaires de quelques lopins et d’un jardin, insuffisants pour assurer leur subsistance.
Peut-on s’imaginer ces laboureurs à bras et leur famille vivant toutes générations confondues dans des logements précaires, mal isolés, mal chauffés, sans hygiène possible. Mal nourris et mal soignés, ils étaient les premières victimes des années de disette ou d’épidémie. Ils étaient payés chichement en effectuant parfois une double journée de travail, à la fois sur leurs modestes terres et sur celles des autres.
Mon ancêtre Jean DEMEURAND (mon sosa 374) faisait partie de cette cohorte misérable de journaliers.
Né vers 1696, ses père et mère sont Jean DEMEURAND, lui aussi journalier, et Marie DENIAU. La famille vit aux Caillères de Terves, puis à Breuil-Chaussée. Les parents ont dû travailler dur pour nourrir leurs enfants : six au moins, nés entre 1686 et 1704. Deux (ou trois) sont morts en bas âge, les trois autres ont atteint de façon sûre l’âge adulte. Parmi eux, mon aïeul Jean qui sera parfois bordier mais le plus souvent journalier, d’abord à Breuil-Chaussée, puis à Chambroutet et à la fin de sa vie à Saint-Porchaire, là où on voulait bien de ses bras.
Homme de peine, il le fut assurément dans tous les sens du terme car il fut veuf trois fois !
En 1723, il épouse à 26 ans Jeanne MAROLLEAU (ma sosa 375) à Breuil-Chaussée. Ensemble, ils ont au moins 4 enfants. L’aînée décède à l’âge de 3 ans. Jeanne trépasse après 1735 le laissant seul avec ses trois jeunes enfants, Jeanne (ma sosa 187), Madeleine et Jean.
Jean se remarie peu après, vers ses 40 ans, avec Jeanne DELAVEAU. Ils n’auront pas d’enfant. Elle décède en 1747. C’est sur son acte de sépulture que le curé écrit « homme de peine » pour qualifier le métier de mon ancêtre, une expression qui est très rare dans le bocage bressuirais, le mot de « journalier » étant pratiquement toujours préféré.
En 1749, âgé de plus de 50 ans, Jean épouse Françoise ROUAULT qui décède avant 1770. Jean est veuf pour la troisième fois.
En 1770, à Saint-Porchaire, il se marie avec Jeanne PAPIN, sa quatrième épouse. Il a 73 ans. C’est son dernier mariage et il ne durera que deux ans. Jean décède le 1er décembre 1775 à Saint-Porchaire âgé de 75 ans, huit ans avant sa dernière femme.
Comme beaucoup d’autres, Jean DEMEURAND a connu la peine de son métier, la peine de son époque et la peine de ses deuils. Il était un homme de peines. Il me faut juste espérer que Jean ait retrouvé un peu de bonheur familial avec ses épouses successives et un peu de consolation en étant présent aux mariages de ses trois enfants.


Très belle et triste histoire comme beaucoup de nos ancêtres de cette époque.
Il s’agit bien de Saint Porchaire à côté de Beurlay en Charente-Maritime ?
Excellent Journée
Cordialement
Philippe Cochard
1 Lieu Dit Bel Air
33540 Blasimon
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Merci pour ce gentil mot. Il s’agit de Saint-Porchaire dans le nord des Deux-Sèvres. Cette commune n’existe plus aujourd’hui, elle est fusionnée avec celle de Bressuire.
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Merci beaucoup pour cet article qui respire l’Humanisme. Je pense qu’ après la révolution, nous retrouvons la même configuration sociale notamment pour les journaliers voir Les Creux de maison bien sûr de Ernest Pérochon. Ce qui explique cette importante migration rurale du Bocage vers les Charentes qui mérite d’être mieux connue. Mais l’herbe était elle plus verte dans les Charentes ? pas certain.
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Journalier, domestique, homme de peine… Ma généalogie en est remplie ! Ils n’avaient hélas aucun moyen de sortir de leur condition misérable, pas plus les hommes que les femmes d’ailleurs. Je leur souhaite aussi d’avoir malgré tout connu quelques moments de bonheur ou au moins de répit.
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C’est un titre qui résume une vie de labeur que personne ne peut envier. Le courage de travailler ainsi est admirable.
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une vie de labeur tellement bien décrite que j’en avais la larme aux yeux ;
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Déjà, merci pour cette très belle illustration graphique … et pour nous avoir fait toucher du doigt la dure vie de ces ancêtres « journaliers » qui peuplent nos (en tout cas le mien aussi ) arbres généalogiques !
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