Entre 1803 et 1815, les guerres napoléoniennes ont fait de nombreuses victimes lors des conflits successifs se déroulant alors dans toute l’Europe. La jeunesse est mobilisée pour combattre et c’est elle qui est la première sacrifiée dans toutes ces batailles. J’ai déjà évoqué la mort à Trafalgar de Pierre-Charles Bernier, conscrit de l’an XII. J’avais découvert son acte de décès dans le registre 1803-1817 de la commune de Terves (Deux-Sèvres). En en faisant un relevé systématique, j’ai trouvé les noms de 9 autres jeunes gens à ajouter avec lui au mémorial virtuel des soldats morts sous l’Empire. Deux d’entre eux, Jean Ménard et Jean-Baptiste Day, sont rattachés à mon arbre généalogique. Ce nombre de 10 hommes de Terves, victimes des guerres impériales, pourrait être comparé à celui des 41 soldats dont le nom est gravé sur le monument aux morts de la guerre 14-18, dans la même commune. Mais, il y a eu sans doute beaucoup plus de 10 victimes militaires à l’époque de Napoléon car les relevés des décès n’ont pas toujours été transcrits, notamment les nombreux concernant la campagne de Russie. Voici donc ces 10 soldats de Terves dont le nom nous est parvenu, dans l’ordre de la date de leur décès :
- 21 octobre 1805 : Pierre-Charles Bernier, conscrit de l’an XI, 25 ans, fusilier au 79e régiment d’infanterie de ligne, fils de domestique jardinier, tué au combat à Trafalgar (vaisseau l’Argonaute)
- 3 mai 1806 : Jacques Barbault, conscrit de l’an XII, fusilier au 79e régiment d’infanterie de ligne, sans doute 23 ans et fils de bordier, décédé, après un mois de soins, de fièvre à l’hôpital militaire et sédentaire de Zara (aujourd’hui Zadar en Croatie)
- 28 avril 1807 : Jean-Baptiste Guérin, conscrit de l’an 1807, 20 ans, fusilier au 14e régiment d’infanterie de ligne, fils de bordier, décédé à l’hôpital militaire de Sedan
- 12 juillet 1807 : Jean Ménard, conscrit de l’an XIII, sans doute 23 ans, fusilier au 79e régiment d’infanterie de ligne, fils de bordier, décédé, après 4 mois de soins, de fièvre à l’hôpital militaire ambulant de Raguse (aujourd’hui Dubrovnik en Croatie)
- 11 juillet 1809 : Jacques Billy, voltigeur au 79e régiment d’infanterie de ligne, « mort sur le champ de bataille par suite du coup de feu qu’il a reçu à la tête » à la bataille de Znaïm en Moravie (aujourd’hui Znojmo en République tchèque)
- le 21 mai 1810 : Jean-Baptiste Day, conscrit de 1809, soldat au 66e régiment d’infanterie de ligne, 21 ans, fils de boulanger, décédé de fièvre à l’hôpital de Salamanque
- 4 décembre 1811 : Pierre Bertau, fusilier au régiment de l’île de Ré, décédé de dysenterie à l’hôpital de La Rochelle
- 24 février 1813 : Jacques Pinault, chasseur au 5e régiment d’infanterie légère, 21 ans, fils de bordier, décédé à l’hospice de Valognes (Manche)
- 1er avril 1813 : Pierre Fallourd, fusilier au 25e régiment d’infanterie de ligne, 22 ans, fils de bordier, décédé à l’hôpital militaire de Bruxelles
- 27 janvier 1814 : François Bernier, grenadier au régiment de Rochefort, 29 ans, fils de bordier, décédé de fièvre après 10 jours de soins à l’hôpital militaire du Château-d’Oléron.
L’affectation principale, comme pour beaucoup de Deux-Sévriens, est le 79e régiment d’infanterie de ligne (anciennement régiment du Boulonnais) avec 4 conscrits. Un seul est enrôlé dans l’ancien régiment du Poitou (25e régiment d’infanterie de ligne). Il n’est pas non plus surprenant d’en trouver un dans le régiment pénal de l’île de Ré. Cette troupe, créée en 1811, est composé de conscrits réfractaires, et ceux-ci étaient nombreux dans une région où, peu avant, se déroulaient les guerres de Vendée. Le régiment de Rochefort, auquel appartient François Bernier, correspond sans doute au 3e régiment d’infanterie de marine. Les 5e, 14e et 66e régiments d’infanterie de ligne complètent les affectations. Tous nos pioupious des Deux-Sèvres ont donc rejoint l’infanterie qui constituait le gros des troupes impériales. Ils sont alors formés au métier de soldat et, sur les 9 dont on précise la fonction, 6 sont fusiliers, un est grenadier (soldat d’élite à l’époque), un est voltigeur (tirailleur) et le dernier est chasseur (soldat de l’avant-garde).
Les dates des décès des soldats, situées entre octobre 1805 et janvier 1814, s’étalent sur toute la période où Napoléon est au pouvoir. Les tristes nouvelles ont mis plus ou moins longtemps à parvenir aux familles de Terves : en moyenne 8 mois et sans forcément de rapport avec l’éloignement. Pour le plus rapide des cas, il n’a fallu qu’un mois. Pour le plus lent, il a fallu 5 ans et 3 mois. Quant aux lieux des décès, ils couvrent une bonne partie de l’expansion de l’Empire français.
2 des soldats sont décédés de façon sûre lors de combats : un en 1805 à la célèbre bataille maritime de Trafalgar, l’autre en 1809 à la bataille de Znaïm (Moravie) qui opposa les troupes françaises à celles de l’empire autrichien.
3 autres sont décédés de fièvre dans des hôpitaux militaires situés près des zones de combat. Ces fièvres sont-elles consécutives à des blessures au combat ou résultent-elles de conditions sanitaires ? C’est la cause invoquée des décès de Jacques Barbault et Jean Menard. Ils ont participé avec leur 79e régiment à la pénible campagne de Dalmatie (1806-1809) marquée par le siège de Raguse et la bataille de Castel-Nuovo. Ce régiment semble avoir été particulièrement exposé et avoir beaucoup souffert avec des soldats morts de soif. La fièvre est aussi la raison du décès de Jean-Baptiste Day en 1810. Son 66e régiment, engagé en Espagne, participe cette année-là au combat de Ciudad Rodrigo à proximité de la ville de Salamanque où meurt le conscrit.
Les 5 derniers soldats décèdent dans des hospices ou des hôpitaux militaires éloignés du front, ce qui n’exclut pas la possibilité que ce soit suite à des blessures de guerre. Pour 2 d’entre eux, la cause est précisée dans l’acte (dysenterie et fièvre). Les hôpitaux militaires n’ont jamais été le meilleur endroit pour guérir. Pas de chance pour nos pauvres conscrits, c’était encore davantage le cas à l’époque car le service de santé, très désorganisé, était un des parents pauvres de l’armée.
En ces années de souvenirs de la guerre 14-18, il ne me semble pas inutile de rappeler que d’autres jeunes conscrits sont aussi décédés un siècle plus tôt dans un conflit qui n’était pas encore mondial, mais qui frappa toute l’Europe. Contrairement aux commémorations de la 1ère guerre mondiale axées sur la mémoire, les témoignages de soldats et sur l’Histoire, celles associées aux guerres napoléoniennes (Austerlitz, Waterloo) ont tendance, de l’extérieur, à ressembler à de vastes jeux de rôles avec reconstitution de batailles en costume. Pourtant, à l’époque ce n’était pas un jeu : outre ces 10 militaires venus de Terves, un million de soldats français ont laissé leur vie dans ces combats responsables également de cinq millions de morts dans toute l’Europe.