Des anecdotes familiales se transmettent de génération en génération, plus difficilement aujourd’hui où les familles sont dispersées et où les traditions orales tendent à disparaître. Pourquoi certaines historiettes perdurent pendant que d’autres sont définitivement oubliées, mystère ! Celles que je connais aujourd’hui, je les dois soit à l’excellente mémoire de ma mère, soit au goût de l’écriture de mon père qui aimait coucher sur le papier ses souvenirs d’enfance. En voici une qui concerne son grand-père paternel.

Nous sommes le 27 avril 1897. Ce jour là à Niort, doit se dérouler la pose de la 1ère pierre de la nouvelle mairie qui va être édifiée par l’architecte Georges Lasseron. Elle sera terminée 4 ans plus tard. Son style est à la mode de l’époque, comme les hôtels de ville de Poitiers ou Paris.

C’est un jour important pour le chef-lieu du département puisque le président de la République Félix Faure, profitant d’une tournée d’une semaine dans l’Ouest de la France (Vendée, Charente-Inférieure et Deux-Sèvres), est l’invité d’honneur de la cérémonie : c’est lui qui doit poser la 1ère pierre dans l’après-midi.

Cette même année, mon arrière-grand-père Lucien Deborde n’est pas encore le maire de Terves, il ne le sera que l’année suivante. Il est adjoint au maire, et c’est lui qui a été choisi pour représenter sa commune aux festivités officielles. Comme pour toute cérémonie républicaine, il y a un repas copieux et arrosé offert aux notables, le soir dans le manège du quartier de cavalerie.
Mon arrière-grand-père assiste donc aux cérémonies, quelque peu perturbées par la pluie, puis participe au banquet. La mémoire familiale se rappelle donc que le président Félix Faure (qui avait encore sa connaissance*) serre entre autres mains celle de Lucien Deborde. Mon aïeul est alors âgé de 34 ans et doit se remarquer au milieu d’édiles plus vieux puisqu’il a droit à ces quelques mots du chef d’État :
« Vous êtes maire de… ?
– Maire de Terves, monsieur le président.
– Vous êtes bien jeune ! »
Mon arrière-grand-père a dû être particulièrement fier de cette poignée de main et de ce très bref échange, et il a certainement raconté très souvent cette anecdote puisque plus d’un siècle plus tard, elle fait encore partie des souvenirs familiaux.
* Allusion au décès en 1899 de Félix Faure dans les bras de sa maîtresse à l’Élysée : le curé qui devait administrer les derniers sacrements aurait demandé à son arrivée : « Le président a-t-il toujours sa connaissance ? » et on lui aurait répondu : « Non, elle est sortie par l’escalier de service ! ». Mon arrière-grand-père, encore tout ému de sa poignée de main présidentielle, considérait que c’était la maîtresse, Marguerite Steinheil, qui était la responsable du scandale plutôt que le défunt président.
P.S. Je ne résiste pas au plaisir de joindre l’article de « L’Écho de Paris » qui relate cette visite. Le style caustique et excessif du journaliste, la météo catastrophique… c’est un régal de lecture !
