
Mars 1793 est le plus souvent considéré comme le début des guerres de Vendée avec les troubles autour de Cholet. Cela aurait pu être 6 mois plus tôt, le 24 août 1792. Le mois d’été a été très agité aux environs de Bressuire : les communes doivent lever des engagés volontaires pour défendre la République et parallèlement paraissent les 1ers décrets contre les prêtres réfractaires. Dans les paroisses rurales du bocage, tout cela passe mal. Des paysans se soulèvent, sèment la pagaille dans plusieurs bourgs et plus de 2 000 d’entre eux finissent par se rassembler à proximité du moulin de Cornet sur la paroisse de Terves pour encercler Bressuire, la citadine. Les troupes militaires alertées viennent de toute la région. Peu armés et mal organisés, les insurgés sont sévèrement défaits et réprimés : 300 à 600 paysans sont tués, 58 sont faits prisonniers et des condamnations à mort sont prononcées à Niort. Parmi les décédés sur le terrain, il y a Pierre Guinheute, un bordier de la paroisse de Terves.
Les actes des communes du Bressuirais sont très parcellaires durant la période révolutionnaire et le nom de ce paysan aurait pu disparaître comme celui de beaucoup d’autres. Pourtant, les circonstances de son décès sont parvenues jusqu’à aujourd’hui et on le doit sans doute à l’obstination de sa fille Marie. En effet, 40 ans jour pour jour après la bataille du moulin de Cornet, le 24 aout 1832, l’acte de décès est retranscrit sur les registres d’état civil de la commune de Terves. Peu avant, le 21 août, Marie Guinheute avait obtenu gain de cause auprès du tribunal civil de 1ère instance de Bressuire afin que le décès de son père soit reconnu officiellement et qu’il soit reporté dans les registres de sa commune.

« …le nommé Pierre Guinheute cultivateur né et ayant demeuré dans la commune de Terves père de la nommée Marie Guineheute est mort il y a quarante ans environ dans un combat qui eut lieu au lieu-dit le moulin de Cornette, que le décès du dit Pierre Guinheute ne se trouve pas porté sur les registres de l’époque à laquelle on fait remonter son décès, c’est parce que les registres ont été enveloppés dans une destruction générale arrivée durant la guerre de Vendée… Pierre Guinheute est mort au combat livré le jour de la saint Louis au moulin de Cornette près de Bressuire commune de Terves… le tribunal jugeant en 1er ressort déclare l’enquête concluante en conséquence fixe le décès de M. Pierre Guinheute à une époque remontant à environ 40 ans, ordonne que le présent jugement sera transcrit sur les registres courants des actes de décès de la commune de Terves… »
Je ne connais pas grand chose de Pierre Guinheute et de sa famille. Sans doute né vers 1750, il a épousé Marie Chabauty avant 1785. Ensemble, ils ont eu 2 filles, Marie, née le 30 mai 1785 et Perrine, née le 8 août 1791 (et dont je ne sais rien). Quand il est mort au combat en 1792, sa fille Marie avait 7 ans. Elle a donc très peu connu son père. Sans doute Marie a-t-elle vécu dans le souvenir de celui-ci entretenu par sa mère. J’ai l’impression qu’elle ne s’est pas mariée (je n’en ai pas trouvé trace en tout cas) et qu’elle est restée auprès de sa mère Marie Chabauty. C’est Marie Guinheute qui déclare le décès de cette dernière (âgée de 58 ans) à Terves le 20 octobre 1814. Pourtant, il est extrêmement rare à l’époque dans les communes rurales de voir des femmes déclarer ou être témoin d’un décès. Et c’est encore elle qui, en 1832 à l’âge de 47 ans, obtient la reconnaissance officielle du décès de son père. Je perds sa trace ensuite, mais peu importe, Marie Guinheute ne voulait pas entretenir son souvenir propre mais celui de son père. Pour moi, la persévérance de sa démarche mémorielle rappelle l’entêtement de tous ceux qui aujourd’hui perpétuent le souvenir de leurs ascendants à travers la généalogie.
Sources et images :
Histoire du patrimoine Bressuirais : La bataille des moulins de Cornet
La maraîchine normande : Justice révolutionnaire à Niort
Chemins secrets : Les moulins de Cornet…
Archives départementales des Deux-Sèvres
Une femme énergique, pour qui le mot et le sens Famille devait beaucoup compter 🙂
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Merci Lolo ! Marie était peut-être plus centrée sur sa famille que sur elle-même.
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Beau et émouvant récit, même si j’ai un ancêtre dans l’armée d’en face 🙂
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J’ai tous les cas de figure dans mes ancêtres concernés par la période révolutionnaire puisqu’ils habitaient tous dans la zone insurgée : j’ai quelques Républicains, pas mal de Vendéens, des réfugiés qui ont fui les lieux de combats également, et pas mal de victimes ! Du coup, je préfère ne pas trier mes ancêtres en bons et en mauvais. 😉
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Merci pour cet article et cette surprenante anecdote. Je suis l’administrateur du blog « Chemins secrets » et ma femme anime quant à elle celui de « La Maraîchine Normande ». Salutations amicales et tous nos voeux pour 2016.
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Merci beaucoup. Vous m’avez bien aidé à faire mon article grâce à vos recherches sur les combats au moulin de Cornet et à la photo du site. Meilleurs vœux également à tous les deux !
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Bonjour Raymond,
Tout d’abord mes meilleurs vœux pour une belle année 2016.
Je trouve cette anecdote passionnante. Elle illustre bien le souvenir très particulier laissé des décennies plus tard par les premiers combats de 1792.
J’ai la chance d’avoir un exemplaire original imprimé vers 1900 de la brochure de Casimir Puichaud « Histoire d’un Drapeau Vendéen » qui relate les événements d’août 1792 à Moncoutant et Bressuire. Je vous en fait passer un pdf par Wetransfer.
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Merci Jean-Philippe, meilleurs vœux également. Le document est bien arrivé, je viens de le survoler et je pense qu’il va m’intéresser bigrement. Outre son intérêt historique, de nombreux noms y sont donnés et parmi ceux-ci, il y en a plusieurs qui appartiennent à mon arbre. je n’ai plus qu’à m’y plonger !
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Belle histoire de persévérance et de commémoration.
Les événements de 1792-1793 font un grand trou dans les généalogies.
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C’est sûr que dans le Bressuirais, les recherches sont difficiles pour cette période, et même pour toute la période antérieure à la Révolution avec des communes (Boismé, Cirières…) qui ont perdu tous leurs registres religieux avant 1789.
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Marie devait avoir un sacré caractère (je n’ai croisé qu’une seule fois une femme qui déclare un décès au 19e). Et obtenir quarante ans après que le décès de son père soit inscrit dans les registres de la commune… La seule explication rationnelle serait qu’elle en ait besoin pour pouvoir se marier, mais à quarante-sept ans… Très belle démarche (et très bel article) !
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Merci Pauline 😀
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