Pour ce dernier article sur le recensement de 1836, j’abandonne donc les données chiffrées. Ce document me donne d’autres détails sur la vie de la commune au début du XIXe siècle. L’ordre dans lequel il a été renseigné est déjà révélateur. Le village est relevé avant les écarts, métairies, fermes et hameaux. Et à l’intérieur du village, on commence par la maison de François Lamoureux, propriétaire et maire, suivi par la cure de Jean Laiguillon, le desservant de la paroisse. Le document est aussi intéressant par les quelques remarques qu’il contient. En effet, après les colonnes qui donnent le nom, prénom, profession, situation familiale et âge de chaque habitant, une dernière est réservée aux éventuelles observations : 71 cases sur les 1069 possibles sont remplies (soit presque 7% des habitants, mon dernier calcul).
Quelques annotations servent à clarifier les liens à l’intérieur d’un foyer, par exemple suite au décès du chef de famille ou à un remariage :
– ainsi, la jeune Victoire Nueil est spécifiée fille de la mère Baudu parce que celle-ci, veuve, s’est remariée avec Jean Fradin.
– Perrine Grelier, veuve également vit avec les familles de ses 2 filles Rose et Françoise Baudu. Elle est précisée mère des 2 femmes précédentes.
Mais beaucoup de ces notes montrent quelles sont les injonctions morales et sociales de l’époque (confirmant ainsi l’impression laissée par les données chiffrées). Elles mettent en valeur des situations familiales hors-norme. Cela concerne :
– les filles-mères et leurs enfants (ayant un garçon, fils de la mère Cheseau, fille naturelle…)
– ceux et celles qui ne sont pas mariés passés un certain âge qui sont qualifiés de célibataires.
– le jeune Louis Tisseron, 14 ans, qui vit seul dans son logement et est dit orphelin.
– le métayer François Billy, frère de Marie-Anne Billy mon ancêtre, qui a fait divorce. Comme je sais qu’il s’est marié en 1813, le mariage n’a pas dû résister bien longtemps puisque le divorce a été supprimé sous Louis XVIII en 1816. Ou alors, il s’agit simplement de la séparation du couple. En tout cas, François Billy vit avec une de ses sœurs célibataire.
Le recensement montre aussi la réalité militaire en 1836 à Terves. Il y a 5 soldats ce qui peut sembler peu sur un village qui compte 125 jeunes hommes entre 20 et 29 ans. À l’époque, peu de garçons partaient, mais c’était pour longtemps. À l’âge de 20 ans, ceux qui tiraient au sort un mauvais numéro devaient faire un très long service militaire de 7 ans. On apprend dans le registre à quel régiment les 5 conscrits sont affectés : Louis Maguy est soldat au 3e de ligne à Rochefort, Jacques Bitaudeau, Louis Blais et Jean Prieur sont soldats au 56e. Le frère de ce dernier, Pierre Prieur, est soldat au 29e. Ont-ils participé à la conquête coloniale de l’Algérie ?
La durée du service militaire, et peut-être quelques restes de l’esprit frondeur des guerres de Vendée, expliquent que certains préfèrent être réfractaires. C’est le cas de 4 jeunes Tervais, ce qui fait presque autant que de conscrits. Le registre note joliment réfractaire courant les champs pour Pierre Devaut, Jacques Gounord, Pierre Cadu. Un autre, Louis Monneau, le frère de mon ancêtre, s’est fait prendre et est détenu à l’abbaye de Fontevraud qui servait alors de prison. Je sais qu’il finira par accomplir son service puisqu’il est déclaré soldat en permission 6 ans plus tard au décès de sa mère.
Le recensement me permet de découvrir l’existence de 2 enfants qualifiés de nourrissons. Auguste Goguet, 1 an, et Adèle Florence, 1 mois, sont placés chez des nourrices. J’avais remarqué l’existence de ces dernières grâce aux registres d’état civil. On y trouve, malheureusement, plusieurs décès d’enfants dont les parents sont des citadins de Bressuire, la ville voisine. Avoir un enfant en nourrice offrait alors une source de revenus supplémentaires pour les familles de paysans.
Pour finir, le recensement m’apprend que Marie Bodet, 40 ans est innocente. Là aussi, cette réalité du handicap, mental ou physique, dans la commune, est corroborée par certains actes de décès qui donnent cette précision (un imbécile et un aveugle entre autres).
Voilà, j’en sais un peu plus sur Terves à l’époque de Louis-Philippe. J’ai une vision globale, ce qui était mon but, mais j’ai aussi découvert des détails que je n’espérais pas, y compris sur les familles de mes ancêtres (un divorce, un réfractaire…). Si les voyages dans le temps existaient, je pourrais m’y promener : je connais tous les villageois. Je sais le métier, l’âge, la situation familiale de chacun. Je peux rentrer dans chaque maison et y deviner les joies et les soucis. Quel espoir pour Louise Huguet, 32 ans, fille-mère vivant avec ses vieux parents de 88 et 60 ans eux aussi journaliers ? Que ressentent Paul Pinaut, propriétaire, et son frère René, taupier, qui vivent avec leur sœur Marianne, tous les 3 vieux célibataires ?
Je renouvellerai sans doute le dépouillement et l’analyse d’un recensement, même si c’est long, car j’y ai trouvé une grande satisfaction : je me suis immergé dans le passé, j’ai obtenu les données démographiques générales que je recherchais et j’ai surtout pu approcher au plus près la diversité de vie des habitants d’une commune.
Félicitations, et merci pour cette très belle série. C’est vrai que l’on s’aperçoit en étudiant les recensements des petits détails de la vie des habitants du lieu, tout en ayant une vision globale de la situation.
Pour donner quelques points de comparaison, le recensement de Gurgy de 1836 (auquel je viens d’aller jeter un œil) commence également par le maire, suivi du desservant et du maréchal-ferrant (1851 et 1872 commencent en revanche par l’instituteur) et ne contient absolument aucune observation (à ma grande déception).
Le recensement de 1851 mentionne quant à lui dans la colonne observation les orphelins, les enfants en nourrice, les enfants des hospices et les enfants naturels.
(PS : cela a un côté très poétique, ce « réfractaire courant les champs »).
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Merci Pauline. Les « réfractaires courant les champs » sont pour beaucoup dans mon désir de décortiquer ce recensement !
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Merveilleux billets, chapeau bas ! Comme évoqué cela donne envie de se pencher sur un des villages de nos ancêtres pour une année-
où un hameau au fil du 19e siècle-
J’avais noté l’ordre du recensement : les notables au début
Je n’ai pas croisé le terme innocente,
mais crétin, semi-crétin ou imbécile si ….
de la part d’un desservant en Savoie au début du 19e
pas très charitable dans l’absolu, mais le prêtre se devait de donner ces précisions par rapport aux sacrements
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Merci Fanny. Vous me faites très plaisir. J’espère voir bientôt l’analyse d’autres villages (la Savoie ?). Quant aux mots crétin, imbécile, innocent, je ne suis pas sûr qu’ils avaient à l’époque la même connotation péjorative qu’aujourd’hui, même s’ils n’étaient ni neutres, ni charitables. D’autres mots qui qualifiaient l’handicap mental (débile, mongolien…) ont connu la même évolution insultante.
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Très belle série, en effet. Et qui donne des envies. Mais comment choisir (le lieu, l’année) quand ses ancêtres sont tous « éparpillés ». En tout cas, il est étonnant de voir la multitude d’informations que l’on peut dégager d’un document administratif plutôt sec à l’origine ! Bravo !
Mélanie – Murmures d’ancêtres
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Merci Mélanie. Je n’ai eu aucun mal à choisir la commune. Mes ancêtres ne sont pas éparpillés et ce village est celui ou j’allais enfant rendre visite à mes grands-parents. Pour l’année, j’ai choisi le registre de 1836 car c’est le plus ancien auquel je pouvais accéder et il n’est justement pas trop sec avec toutes les remarques qu’il possède.
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