Le hasard me fait encore rencontrer un décès par noyade. Pourtant, je ne crois pas que ce soit une obsession morbide de ma part ! En fouillant les registres de l’ancienne commune de Boësse au nord de Bressuire (Deux-Sèvres) à la recherche de mes ancêtres Martineau, je tombe sur un très long compte-rendu de noyade en date du 20 mai 1626 (AD 79, BMS 1618-1667, vues 86 à 89/120). L’acte rédigé par Jacques Robicheau, le curé de la paroisse Saint-Jouin à Boësse, a l’avantage d’avoir une écriture plutôt lisible. Là encore, je le trouve passionnant car il m’apprend beaucoup sur les mentalités et croyances de l’époque. Mais, comme il est fort long et un peu confus, je vous en donne une version abrégée et ordonnée.
On y apprend les circonstances et l’identité du noyé. Samedi 16 mai 1620, Pierre Chiron, 23 ans, fils de Mathurin Chiron et Étiennette Charrier, domicilié au bourg de Boësse était dans une charrette tirée par des bœufs. Il était accompagné de Jehan Guérineau (le frère du métayer de la Gilbergère précise le bon curé). Les 2 hommes venaient de Sanzay. Ils ont voulu passer la rivière Argenton au gué de Pas-Guérin au lieu-dit le Censif, près de la métairie des Loges en direction de Boësse. Malheureusement, « l’eau étant fort grande presque débordée et rapide… aurait fait renverser la charrette et dénoyé les bœufs au milieu du dit gué. En sorte que le dit défunt Chiron aurait demeuré dans la dite eau où il serait noyé malgré tous les efforts que le dit Guérineau aurait fait pour le secourir, lequel à grand peine se serait garanti lui même de se noyer ».
Le problème, pour ce décès, n’est donc pas de savoir qui s’est noyé mais de retrouver le corps. On sait l’importance pour beaucoup de pouvoir se recueillir sur une tombe. Au XVIIe siècle, c’était essentiel : ne pas être inhumé dans un cimetière fermait les portes du Paradis d’autant plus que, dans le cas présent, les derniers sacrements n’avaient pas été donnés !
Des recherches ont donc été menées pour retrouver le cadavre. « Les dits père et mère et parents de feu Chiron avaient fait toute sorte de diligence avec grand nombre d’hommes ayant un bateau, de grands crochets, râteaux, perches et autres ??? pour chercher et trouver le dit corps ». En vain ! On fit donc appel au bon Dieu au bout de quelques jours car « tous s’étaient lassés de le chercher et avaient fait déporter sur l’espérance que le dit curé avait donné tant au père qu’à plusieurs autres personnes… de se confier entièrement en la bonté infinie et toute puissante de Dieu ». On fit donc des messes, des rogations* et des processions. On intercéda auprès de la Vierge, de saint Pierre, de saint Jouin et de tous les saints et saintes du Paradis. On chanta l’antienne Regina*. On fit 3 fois le signe de croix sur l’eau du lieu du drame avec la croix qui est utilisée pour les processions.
Pour le prêtre Jacques Robucheau, cela finira par porter ses fruits car il avait eu « révélation qu’il plairait à Dieu d’exaucer les dites prières et que miraculeusement et par une voie extraordinaire le corps paraitrait de lui même sur l’eau auparavant le jour et fête de l’Ascension de Notre Seigneur. » Le « miracle » eut donc lieu le mercredi 20 mai, veille de l’Ascension, entre 7 et 8 heures du matin. Les prières et requêtes commandant à l’eau, au nom de Dieu, de rendre le corps furent efficaces. Le cadavre fut tiré hors de l’eau de la rivière tout près du lieu de la noyade. L’intervention divine ne faisait pas de doute pour le curé car le corps fut rendu « sans enflure, ni blessure ou lésion, ainsi en son intégrité… le troisième jour… d’ordinaire (à ce qu’on dit) les corps des noyés ne paraissent que le neuvième jour, tout au plus tôt après qu’ils sont noyés et tout gros enflés. »
Le prêtre tenait vraiment à ce que ce soit un miracle reconnu. Il cite donc tous les témoins et ils sont nombreux : le vicaire Aubin David, le procureur fiscal André Geay, seigneur de la Forest (qui a ramené à la nage le corps du défunt), le sergent et notaire Louis Turpault, lesquels en ont fait procès verbal. Il y a aussi le sacristain Maurice Belot, le meunier du moulin des Portes Mathurin Guérin, le médecin Hermet Brandeau. Il donne également le nom des écoliers, des vignerons, des maréchaux-ferrants, des tisserands, des paroissiens de Boësse et des bourgs voisins présents. J’apprends ainsi que mon ancêtre Hermet Martineau avait un fils prénommé Claude dont j’ignorais l’existence. Il cite sans doute aussi des femmes mais malheureusement 1 ou 2 feuillets du document ont disparu (le registre numéroté passe de la page 106 à 109). Du coup, je n’en connais qu’une seule, damoiselle Louise du Bugnon.
Le prêtre était-il sincère, croyait-il vraiment au miracle ? Ou voulait il se donner de l’importance et faire penser que ses prières avaient permis de retrouver le corps ? Peut-être un peu les deux ! Le vrai miracle, s’il y en avait eu un, aurait été de retrouver vivant le malheureux jeune homme !
Photo Audrey 79, la rivière Argenton
* Les rogations sont les cérémonies des 3 jours qui précèdent le jeudi de l’Ascension. Pour l’année 1626, elles vont du lundi 18 mai au mercredi 20 mai.
* Une antienne est un chant liturgique à deux chœurs. Celui-ci est dédié à la vierge Marie (le Salve Regina peut-être.)
Un brin dubitatif l’auteur du billet.
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J’ai effectivement un petit doute sur la réalité du miracle. D’un autre côté, le doute est toujours nécessaire quand on s’intéresse à la généalogie. Ouf, je suis cohérent ;-).
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