Il n’avait pas le sens des affaires

« Il n’avait pas le sens des affaires », c’est ce que le bouche à oreille a transmis de Jean-François Deborde, le frère de mon arrière-arrière-grand-père, Joseph Deborde dit « pépé José » sur la fin de sa vie. Pour que la famille ait gardé la mémoire d’une personne née il y a bientôt 2 siècles, en 1823, c’est sans doute parce qu’elle détonnait parmi les autres. J’ai donc voulu le vérifier.

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Joseph, le frère de Jean-François

Les parents de Jean-François, Pierre Deborde et Jeanne Grelier, sont des paysans assez riches. Après leur mariage en 1822, ils acquièrent davantage d’aisance en changeant régulièrement de métairie : la Forge à Pugny, le Roya à Chanteloup, Égoulant à Clazay et enfin le Bois-de-Terves à Terves. Ils ont eu 3 garçons qui, en grandissant, sont des bras précieux pour aider dans les champs. De ce que je sais de leur vie, je les imagine chacun avec un tempérament bien différent : Jean-François, l’aîné, ambitieux, mais inconséquent dans sa conduite ; Joseph, le cadet, laborieux, très pieux, le fils modèle ; François, le benjamin, bricoleur, pas très courageux mais sans doute arrangeant.

En 1848, la famille habite à Clazay quand Jean-François âgé de 24 ans se marie avec Mélanie Billy. Il s’installe à la ferme de la Touchelandière de Terves où il travaille avec son beau-père et sa belle-famille. Le couple a 4 enfants : 3 filles et 1 fils. Ce dernier, Maximin, décède très jeune. Excepté ce deuil, la vie s’écoule pour le mieux, conforme aux normes de l’époque. Mais entre 1863 et 1865, une succession de décès frappe la famille : Mélanie l’épouse meurt la 1ère à l’âge de 40 ans, puis le beau-père, Jacques Billy, l’année suivante, et enfin Henriette, la 2ème fille âgée de 12 ans. Jean-François se retrouve alors seul avec les 2 filles qui lui restent, Marie-Madeleine et Marie-Mélanie, âgées de 15 et 5 ans. Mais il habite toujours à côté de la famille de sa femme défunte : les frères Jacques et Honoré Billy « vieux garçons », la sœur Prudence Billy, son mari Pierre Proust et leurs enfants. Le décès de son beau-père semble révéler que Jean-François avait déjà du mal à gérer ses biens. En effet, il est endetté auprès d’une belle-sœur de 2 400 francs suite à l’achat d’un terrain qu’il n’a pas totalement payé. Pour rembourser, il a sans doute dû puiser dans la dotation partage entre lui et ses 2 frères faite opportunément par ses parents Pierre Deborde et Jeanne Grelier l’année précédente.

Jean-François se remarie avec Clémence Fremondière en novembre 1865. Cette union a-t-elle été bien acceptée par son ex-belle-famille ? Ce n’est pas sûr car aucun n’apparaît en témoin sur l’acte de mariage ou le contrat de mariage. la mariée possède 2 000 francs d’économies personnelles. L’apport du marié est moins clair car la communauté précédente n’est pas encore liquidée. 2 filles naissent à Terves de cette union : Angèle en 1866 et Noémie en 1872. Jean-François a maintenant une activité indépendante de la famille Billy : il est à son compte, il est marchand de moutons. C’est dans ces années-là que se confirme ce que la mémoire familiale m’a transmis : il n’avait sans doute pas le sens des affaires. Aux Archives départementales des Deux-Sèvres, j’ai retrouvé le dossier instruit par le tribunal de Bressuire concernant sa faillite en 1871. 26 créanciers essaient de retrouver l’argent que leur doit Jean-François. Parmi eux, ses ex-beaux-frères Jacques Billy agissant au nom des 2 filles que Jean-François a eu avec sa 1ère femme Mélanie Billy ainsi que Constant Chollet époux de Marie Billy. Il y a aussi des cousins : Pierre Baudu de Moncoutant et Jacques Turpaud de Breuil-Chaussée. Les sommes en jeu sont très variables, de 30 à 2 675 francs. failliteJean-François doit en tout plus de 16 000 francs. Un bilan est fait de ses actifs pour voir s’il  a des possibilités de rembourser. Il possède la moitié de la maison où il habite à la Touchelandière de Terves et la moitié des terres en dépendant soit 5 000 francs. Il peut aussi compter sur 4 000 francs de son frère François suite à une vente. Un huissier fait également l’inventaire et l’estimation de ses biens. il fait le tour de l’habitation (le buffet, les assiettes les cuillers, les draps…), de l’écurie (une vache de dix ans poil marron, une autre neuf ans poil blanc…), de la cour (une charrette, un baquet…) et de la grange (2 fourches en fer…). Il y en a pour 576 francs et 25 centimes mais seuls 200 francs seront pris en compte. 9 200 francs d’actif pour 16 000 francs de passif. Le compte n’y est pas. A-t-il fait un emprunt ? Son père et ses frères l’ont-ils aidé à se renflouer ? Pour l’instant, je ne sais pas.

En tout cas, il ne pouvait plus rester dans la région et devoir supporter le regard des voisins, de sa belle-famille et peut-être aussi de ses frères. Il est ainsi le premier connu de mes ascendants et collatéraux à quitter volontairement et définitivement sa région natale du bocage bressuirais. À la fin de l’année 1872, il part refaire sa vie, à Coulonges-sur-l’Autize, 50 kilomètres plus au sud, quasiment un autre monde. E t il y découvre un nouveau métier : épicier. Avec quel argent a-t-il pu s’établir ? Lui restait-il des avoirs cachés ? Son père l’a-t-il encore aidé financièrement à se réinstaller ? Les 2 aînées nées du 1er  mariage ne semblent pas rester avec lui : Marie-Madeleine se marie la même année et Marie-Mélanie n’apparaît pas au recensement de Coulonges en 1876. Dans son magasin, il se retrouve donc avec son épouse Clémence qui l’assiste et ses 2 filles. Une autre enfant, Marceline, naît en 1876. Nouvelle maison, nouvel enfant, nouveau travail, nouvelle vie ! Avait-il maintenant le sens des affaires ? L’histoire ne le dit pas et il n’aura pas eu le temps de le prouver, il meurt à son domicile le 7 octobre 1877 à l’âge de 53 ans. Pour déclarer son décès mais aussi pour l’accompagner dans ses derniers instants, son père Pierre Deborde âgé de 78 ans et tout juste veuf a quitté sa ferme et il a fait peut-être le plus long chemin de sa vie. Sans doute au fond de lui-même en voulait-il à ce fils  d’avoir dilapidé ce qu’il lui avait transmis, de ne pas ressembler à son frère Joseph. Mais, en ce triste jour d’automne, c’est le chagrin d’un père qui s’exprime quand il déclare à l’officier d’état civil ne pouvoir signer.

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Après le décès de Jean-François, il a bien fallu s’occuper de la veuve et des 3 filles désormais sans ressources. Par solidarité familiale ou par convention sociale, les 2 frères se sont mobilisés : la veuve et la petite dernière Marceline sont accueillies un temps à Pugny chez François ; Noémie la cadette se retrouve à Terves chez Joseph ; quant à l’aînée, Angèle, elle est sans doute placée dans une autre ferme. Pierre Deborde, le père meurt quelques mois après son fils, le 28 février 1879, encore dans le chagrin. L’histoire de son fils Jean-François est restée dans la famille puisqu’elle est parvenue jusqu’à moi. Était-elle racontée aux plus jeunes pour leur montrer ce qui peut arriver si on ne gère pas bien son pécule ou si on s’écarte des lieux ou des mode de vie familiaux ? Pourtant, 2 générations plus tard, il fallait bien se rendre à l’évidence : tout le monde ne pouvait plus vivre de la terre et certains devaient tenter l’aventure. En 1920, mon grand-oncle (tonton Alcide !), l’aîné des petits-fils de Joseph Deborde, a fait comme son grand-oncle Jean-François : il est parti s’installer à son tour loin de la ferme familiale : il est allé à Niort pour tenir une épicerie. Mais, heureusement pour lui, il avait le sens des affaires !

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