
Il y a peu de temps, j’ai retrouvé parmi divers papiers de mon grand-oncle Alcide un petit carnet tout jauni, aux petits carreaux remplis d’une écriture serrée au crayon de papier. Sur la première page, il y a écrit :
Alcide Deborde aux Touches de Terves par Bressuire (Deux-Sèvres) parti le 3 août 1914 à 6 heures 30 du matin avec le grand et le bon espoir de retourner.
Des pages sont arrachées, d’autres sont vierges. Alcide ne parle pas des combats auxquels il a participé durant la guerre 14-18. Non, ce qu’il raconte, ce sont ses 2 premiers mois de détention, du 4 mai au 21 juillet 2016 . Il a été fait prisonnier à Verdun le 4 mai 1916 et n’est revenu en France que le 22 janvier 1919. Pourquoi n’est il pas allé jusqu’au bout de son récit, je ne sais pas. J’ignore aussi quand il a rédigé ce texte, sans doute à la fin de sa détention ou peu de temps après sa libération, car les détails sont nombreux et précis. Avec le recul, cette captivité racontée dans ce carnet éclaire et explique un peu pourquoi Alcide a échappé à un destin tout tracé d’agriculteur.

Ce n’est pas une correspondance et le texte est dénué d’émotion. Ceux qui sont à la recherche de pathos seront déçus. Il est même très factuel, s’intéressant aux problèmes matériels : nourriture, argent, confort, courrier, déplacements, hygiène, santé, travail… Paradoxalement, c’est ce qui rend le texte intéressant et original, c’est un témoignage sur la vie dans les camps. Alcide parle peu des autres prisonniers, ce qui peut donner de lui une image égoïste, il ne raconte que son histoire. Il n’exprime pas de souffrance et c’est tant mieux pour lui, être prisonnier de guerre était certainement un sort plus enviable qu’être soldat dans les tranchées. Durant ces 2 mois, Alcide se plaint souvent de la nourriture, mais il n’a sans doute pas si mal vécu cette captivité : il a même pu se faire opérer « très bien » d’une hernie à l’hôpital. Il a pu rassurer assez vite ses parents qui étaient dans l’angoisse grâce à la Croix-Rouge. Il reçoit des colis qui peuvent s’avérer trop lourds et il écrit à ses sœurs Radegonde et Denise, ainsi qu’à Berthe, la fiancée qui lui est promise. Il enverra régulièrement des nouvelles en France et même a son « petit frère bien aimé Hubert » prisonnier comme lui, mais à Grafenwöhr, un autre camp situé en Bavière.
J’ai pu retracer sur la carte son itinéraire de prisonnier durant cette période de presque 80 jours. On le voit capturé à Verdun (1), regroupé avec d’autres prisonniers à l’arrière des lignes allemandes à Cléry-le Petit (2) puis rejoindre à pied Stenay (3). Le train l’emmène ensuite à Trèves (4) où il reste une journée, à Giessen (5) pour une semaine et enfin à Hamelin (6) pendant deux mois où il se fait soigner. Le 21 juillet, Alcide part à Eschershausen (7) et le carnet s’arrête là. Je ne sais pas combien de temps il y est resté et s’il y a eu d’autres étapes avant d’arriver au camp de Soltau (8), où ces photos de lui en uniforme ont été prises.
Pour lire dans son intégralité son carnet qu’il avait titré Mes mémoires en Allemagne, il suffit de cliquer dans l’ordre sur les numéros 1 à 8 de la carte. Les 10 pages d’écriture serrée de son petit carnet correspondent à 3 pages de tapuscrit.
Pour Alcide, ces quelques années me semblent avoir été vécues autant comme une expérience que comme un enfermement. Il découvre un autre pays et ses habitants, d’autres paysages, d’autres nourritures… Lui qui n’avait jusqu’alors jamais dû beaucoup s’éloigner de son village, au lieu de se sentir emprisonné, cela lui ouvre l’esprit. Cela participera peut-être même de son émancipation puisque, après la guerre, il quittera la ferme qui lui était promise en tant que fils aîné et il renoncera au mariage avec Berthe qu’il trouvait trop dévote. Il ira vivre en ville (à Niort) pour y tenir une épicerie, il sera le 1er de la famille à s’acheter une voiture, à partir en vacances… La guerre aurait dû le briser comme beaucoup, sa captivité lui a permis d’éviter le pire et lui a peut-être donné l’opportunité de choisir librement sa vie.
Wouah ! Magnifique.
Il faudra que je vérifie si sur son trajet de retour, Alcide n’a pas croisé mon grand-père qui en, 1919, faisait partie des régiments qui ravitaillaient les prisonniers de guerre libérés (mon Grand Père était à Trèves en 1919 par ex).
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Merci Caroline du compliment. Ce serait « amusant » que ton grand-père ait croisé mon grand-oncle mais ce ne sera pas facile à prouver si c’est le cas !
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Non mais je vais regarder quand meme … surtout si tu as les dates de libération de ton grand-oncle
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Elle est vraiment intéressante cette utilisation de google map. C’est un modèle à suivre…
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Merci Marie. Je suis vraiment ravi que ça te plaise. Sans Google Map, il n’était pas facile, même pour moi, de comprendre le carnet d’Alcide. Du coup, je suis plutôt content d’avoir eu cette idée et d’avoir su la mettre en place !
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Précieux petit carnet , mis en lumière avec des outils contemporains, et note de conclusion judicieuse.
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Merci beaucoup d’avoir aimé. C’est vrai que ce carnet est précieux. Il est aussi fragile et je fais attention à ne pas effacer les traces laissées par le crayon de papier quand je tourne les pages.
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Quelle chance de posséder de tels objets qui donnent un autre relief à la vie des soldats ! Lorsque j’ai lu Soltau, ça m’a tout de suite parlé. L’un de mes grand-oncles a aussi été interné à Soltau. Il faisait partie du même régiment et a été fait prisonnier le même jour qu’Alcide. Il faudra voir si on peut trouver d’autres points de rapprochement.
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C’est sûr qu’il va falloir « confronter » nos grands-oncles, Serge. S’il a été pris le même jour, le tien a dû avoir jusqu’à Brême le même parcours qu’Alcide. Il fait peut-être même aussi partie du convoi de 400 cultivateurs qui sont allés ensuite à Hamelin. J’ai lu quelque part que Soltau était le plus grand camp de prisonniers en Allemagne pour 14-18, beaucoup de prisonniers de guerre y ont donc été détenus. Dans le carnet d’Alcide, il y a aussi quelques noms de jeunes hommes du Maine-et-Loire proche des Deux-Sèvres, sans doute rencontrés en détention et avec qui il avait gardé ou envisagé de garder des contacts.
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Bonjour Raymond,
Quelle beau billet que celui-ci : Un carnet chargé d’histoire et un excellent travail de recherche et de mise en valeur. Un exemple pour nous tous.
Laurent
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Merci Laurent. Le compliment me touche vraiment beaucoup.
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