Comme Sophie Boudarel nous invite à faire découvrir 1 livre dans le cadre des généathèmes du mois d’avril, Je vais désobéir et vous donner 2 ouvrages à parcourir : Barberine des genets et sa suite Les endiablés (on peut aussi trouver les deux romans réunis sous le titre Au cri du chouan). J’ai 3 bonnes raisons pour en parler.
L’auteur.
C’est Ernest Pérochon. C’est un écrivain du terroir, de mon terroir des Deux-Sèvres mais ses histoires sont universelles. Il est né en 1885, fils de paysan, de parents protestants sans doute peu religieux, dans une région très marquée par le catholicisme, le bocage bressuirais. Devenu instituteur, il écrit et obtient en 1919 le prix Goncourt avec Nêne, ce qui lui permet ensuite de se consacrer pleinement à sa carrière d’écrivain. Son écriture peut sembler datée mais n’est pas surannée. Elle respecte le langage des paysans d’autrefois, en restant élégante et précise. C’est un peu moins le cas dans le présent ouvrage car l’auteur a essayé de restituer le langage de la fin du XVIIIe siècle. C’est enfin et surtout le peintre délicat des sentiments. Il arrive à nous faire comprendre et partager les affres liées à des amours paysannes impossibles, dont les femmes, comme Barberine, sont bien souvent les premières victimes.
Les Deux-Sèvres.
Pérochon connaît son département, du nord au sud, ainsi que ses paysages, ses traditions et ses habitants. Il aurait pu renier ce milieu paysan replié sur lui-même, plutôt rétrograde ; mais non. Il aime ce terroir dont il est issu et où il a grandi, il aime les hommes qui y habitent et il porte sur eux un regard juste, circonstancié et tolérant, mais lucide. Dans Nêne, il raconte à travers les yeux du personnage éponyme la vie des paysans bocains : il nous restitue les mentalités, les conditions de travail, le poids de la religion à la fin du XIXe. Avec Les Gardiennes (librement adapté au cinéma par Xavier Beauvois), il évoque quelques destins de femmes fortes, leur travail dans les fermes du marais poitevin durant la guerre 14-18, il devine les changements sociaux à venir. En écrivant en 1933 Barberine des genets puis Les endiablés, Pérochon retourne dans le nord des Deux-Sèvres à la fin du XVIIIe siècle, juste après la Révolution dans le hameau imaginaire de la Millauderie qu’il situe près de sa commune natale de Courlay.
L’Histoire
Pérochon veut donc raconter les guerres de Vendée à travers Barberine des Genets et Les endiablés. Le prétexte : encore une histoire d’amour impossible : celle de Gilles le catholique dans un milieu royaliste et de Barberine la protestante dans un milieu républicain. 1793, ce n’est pas la bonne période pour vivre une belle histoire d’amour, surtout quand s’y ajoute la malédiction d’une sorcière.
Ce diptyque me parle beaucoup, car au delà de la romance, Pérochon raconte la guerre de Vendée dans son intégralité. Il part des premières révoltes autour de Moncoutant en août 1792, il nous fait suivre les victoires et les défaites des paysans et de leurs chefs jusqu’à la funeste virée de Galerne. Il n’oublie pas de montrer le passage des colonnes infernales en 1794. L’auteur ne cherche pas les bons ou les méchants, ils sont dans chaque camp, et parfois dans un même personnage. Il veut avant tout dénoncer la guerre, ses horreurs et son absurdité.
Tous mes ancêtres contemporains de la Révolution française vivaient dans le terroir que décrit Pérochon. Ils ont donc tous subi les guerres de Vendée. Certains y ont participé et, quand c’était le cas, le plus souvent dans le camp royaliste. Au fur et à mesure des nombreux combats racontés par Ernest Pérochon, je peux donc imaginer mes aïeux et leurs collatéraux au milieu du tumulte.
– août 1792, bataille du moulin de Cornet. « … ce fut un massacre près des moulins et dans tous les chemins des alentours. Les patriotes galopaient derrière les fuyards désarmés qui ne pouvaient plus se retourner contre eux. Il se commit de grandes méchancetés. Ce sont des choses qui font peine à dire. » Beaucoup de mes ancêtres habitaient à Terves, tout près de ce moulin, et certains ont sans doute participé au combat. La bataille fit 500 morts chez les paysans.
– mai-juin 1793, Barberine fuit la région et se réfugie à Coulonges. « À l’auberge, on ne voulut pas la recevoir parce qu’elle arrivait du pays des brigands. Elle coucha dans une grange, sur de la paille, avec des réfugiés très démunis. » À la même époque, mon ancêtre Jacques Giret et ses frères fuient les combats et se réfugient à Poitiers avec femmes et enfants. C’est comme réfugiée que décède mon aïeule Marie-Jeanne Bodin dans cette ville.
– 5 juin 1793, bataille de Thouars. « Les Bleus étaient protégés par une rivière le Thouet. On tira le canon et on se fusilla jusqu’à cinq heures de relevée. Les cavaliers de l’armée brigandine trouvèrent un gué où ils passèrent l’eau. » C’est dans cette ville et ce jour-là que meurent Louis Fradin, frère d’une ancêtre, et Louis Pilet, le 2ème époux de mon ancêtre Marie-Thérèse Cornuault.
– 5 juillet 1793, bataille de Châtillon. « Aux armes ! Aux armes ! La bataille commença comme cela. Les gars accouraient en poussant leurs cris. Ils sortaient de partout ; ils couvraient les champs ; ils se glissaient comme des renards derrière les buissons dans les seigles et les blés. » C’est sans doute ce jour là qu’est mort Jacques Chesseron, frère d’un ancêtre, âgé de 40 ans.
– 18 octobre, virée de Galerne qui passe le 8 décembre 1793 à La Flèche. « Pour entrer dans la Flèche, mossieu Henri dut mener à l’attaque ses plus francs gars. Et, le lundi, les Bleus revinrent encore faire leurs menace autour de la ville. » C’est dans cette ville qu’est vu pour la dernière fois Jean-Baptiste Burget, 32 ans, frère de mon aïeule Thérèse Burget.
– 23 décembre, fin de la virée de Galerne à Savenay. « Parmi les fuyards, un sur quatre avait encore une arme. Les autres étaient comme des aumailles devant le tueur. » C’est peut-être là qu’est mort mon SOSA 252, André Bonnin, sabotier âgé de 30 ans.
– janvier à mai 1794, les colonnes infernales. « Les Bleus vinrent à la porte de l’église et ils commencèrent à tirer sur ceux qui étaient réfugiés là. Aux premiers coups, le curé truton accourut le crucifix au poing. Il cachait les autres avec son corps et il criait aux tueurs : Ce sont vos frères ! Baissez les armes ! » Durant cette période, de nombreuses personnes de mon arbre (Pierre Guibert, Augustin Berthelot, Marie-Jeanne Violleau, Marie-Jeanne Badet, Jean Fouillet et son épouse Louise Goron, Pierre-Jacques Giret et son épouse Marie-Jeanne Pasquet et d’autres sans doute) décèdent de mort violente.
Je ne veux pas vous raconter la fin du roman car ça ne se fait pas. J’ai récemment écrit dans un précédent article que les histoires d’amour finissent mal en général. Les textes de Pérochon obéissent bien souvent à cette règle. Cependant, comme l’histoire se termine avec le retour à la paix, l’auteur conclut Les endiablés avec une petite note d’espoir. Cela ne fait pas de mal, après avoir traversé tant de drames et tant de batailles.
P.S. Merci à Jean-Philippe qui a parlé de ces 2 livres à Sylvie (et merci à Sylvie qui me les a trouvés) !
Merci pour cet article agréablement écrit et documenté sur un romancier peu connu mais dont le nom me remémore chaque fois son premier roman « Les creux de maison » qui décrit si bien la vie qu’ont pu avoir nombre de mes ancêtres du côté paternel et puis l’instituteur passé par l’École Normale de Parthenay et qui enseigna en campagne en compagnie de son épouse. En attendant le prochain sujet, bon courage.
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Mille mercis pour cet article qui tout à la fois remet en lumière à juste titre une gloire locale ( E. Perrochon) en apposant sur son récit comme avec un calque l’histoire d’une famille du pays.
Très intéressant.
Bravo.
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Merci Bernard et Jean-Pierre de partager mes goûts et de me le faire savoir. Et merci aussi de me rappeler de lire « Les creux de maison » que je n’ai toujours pas lu alors que je sais que c’est un de ses meilleurs ouvrages !
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Merci pour ce rappel de notre histoire.
C’est peut-être mon livre préféré sur cette terrible période. Ernest Perochon a su humaniser cette guerre civile. On voit le déroulement des évènements et l’impossibilité pour chaque personnage de rester neutre…
Suivant le lieu où il vivait, le milieu dans lequel il évoluait, les opinions religieuses, les personnalités, la situation sociale qu’il occupait, chacun se trouvait pris dans l’engrenage…
Mes ancêtres ont aussi « participé » à cette guerre, ils étaient plutôt dans les zones intermédiaires. Certains furent vendéens, d’autres républicains. Je me demande souvent lesquels ont vraiment choisi leur camp…
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C’est tout à fait vrai, Mauricette, cette notion d’engrenage ainsi que l’impossibilité d’être neutre est très bien montrée par l’auteur. Ce déterminisme social et familial, cette fatalité… il y a en y réfléchissant un petit côté Zola chez Pérochon, même si l’écriture est très différente.
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Une mes ancêtre Louise Jeanne Bodin (protestante) est décédée réfugiée à Champdeniers fuyant avec son fils et sa bru les guerres de Vendée.
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