Quand nous essayons d’établir une règle concernant les mariages de nos ancêtres, nous imaginons souvent les couples sur un même modèle : l’homme plus âgé que sa femme, elle à peine 20 ans et lui plus près de 25. Pourtant cette image est fausse : au XVIIe et XVIIIe siècle, on se mariait généralement assez tard. À la fin de l’Ancien Régime, les épouses avaient en moyenne 25 à 26 ans au moment de leurs noces et les maris étaient âgés de 27 à 28 ans. Bien sûr, on trouve régulièrement des exceptions à cette règle : un grand écart d’âge entre les conjoints, une femme bien plus vieille que son mari ou encore une toute jeune fille conduite à l’autel. C’est à ces jeunes filles que je m’intéresse aujourd’hui.
Dans mon arbre, j’en trouve 13 qui se sont mariées avant 17ans : 5 ont 16 ans, 7 ont 15 ans et 1 a 12 ans. La moitié s’unit XVIIe siècle, l’autre dans la première moitié du XVIIIe et une seule convole au XIXe siècle. Celles mariées entre le XVIIe et le XVIIIe siècle me semblent les plus intéressantes. À regarder leur parcours, je peux les classer dans 3 catégories : les jeunes filles de la noblesse, celles des familles de protestants et enfin les paysannes.
Les jeunes filles issues de familles nobles ou de notables.
Madeleine Nicolas
Le 5 juillet 1649, à 16 ans, Madeleine, fille de Jean Nicolas, seigneur de la Taupelière, épouse dans sa paroisse de Saint-Laurent de Parthenay Jacques Augron, docteur en médecine, âgé de 24 ans. Madeleine est l’aînée des 11 enfants de mes sosas Jean Nicolas (3952) et Madeleine Mocquet (3953). On a sans doute prévu de longue date la dot de la mariée. Le couple va passer toute sa vie dans cette paroisse de Saint-Laurent. Madeleine met au monde son premier bébé l’année suivante, elle vient d’avoir 18 ans. Le couple aura 4 enfants et Madeleine meurt à 49 ans.
Renée Jallay
9 ans après Madeleine, en octobre 1658, Pierre Nicolas, son frère, épouse Renée Jallay. Le marié a 25 ans, sa future épouse en a 16 ! Lui est avocat au bailliage de Gâtine, elle est fille de marchand, tous 2 vivent dans la paroisse de Saint-Laurent. Aucun enfant ne semble être né de cette union. Pierre Nicolas décède en 1691, il a 57 ans, Renée se remarie, elle meurt en 1702 a l’âge de 60 ans.
Madeleine Baraton
Le 16 janvier 1667, Madeleine Baraton 15 ans (sosa 557), épouse à Fenioux Philippe de la Touche, seigneur de Grandmaison, 25 ans (sosa 556). En décembre de la même année, Madeleine met au monde une petite fille, Marie. 3 autres enfants voient le jour dans les années qui suivent, mais Madeleine décède fin 1679, elle n’a que 27 ans.
Ces 3 jeunes filles appartiennent à des familles de la petite noblesse ou de notables de province. Nous sommes là dans l’un des cas d’exceptions aux mariages plus tardifs. Dans ces familles, il fallait d’une part éviter de disperser le patrimoine et d’autre part permettre des rapprochements avec des lignées de même niveau social. Ces unions « entre-soi » laissaient moins de choix pour les épouses et les pères n’hésitaient pas alors à marier de très jeunes filles. Les 2 Madeleine ainsi que Renée ont sans doute été sacrifiées aux alliances familiales.
Les jeunes filles issues de familles de protestants.
Marguerite Roulleau
Le 26 mai 1664, Marguerite Roulleau, fille de mes sosas Mathurin Roulleau et Jacquette Granier, épouse à Saint-Pompain Mathurin Richer. Elle a 16 ans et je ne connais pas l’âge du marié. À 18 ans, elle donne le jour à un fils, puis je perds sa trace. Je suis presque sûre qu’elle est issue d’une famille de protestants.
Marie Boussereau
En avril 1700, cette fille de protestants se marie à Surin avec Louis Saboureau, laboureur lui aussi fils de protestants : elle a 15 ans, lui en a 26 ans. Ils sont mes sosas 696 et 697. 8 enfants naissent de cette union : le premier vers 1702, Marie a alors 17 ans, la dernière vers 1721, elle a 37 ans. Marie meurt quelques années plus tard, à 42 ans. Louis ne se remarie pas, il a une longue vie puisqu’il meurt à 77 ans.
Comme les nobles, les protestants, même après avoir abjuré, continuent à se marier entre eux. Là encore, l’appartenance à un groupe religieux minoritaire ou stigmatisé est l’une des exceptions aux mariages tardifs. Il y a peu de choix pour se marier et l’âge des jeunes filles importe sans doute moins que dans d’autres milieux.

Les jeunes filles issues de familles de paysans.
Pour ces jeunes filles, chaque cas est différent et il est difficile de dégager une tendance.
Catherine et Jeanne Arnaud
Les 2 sœurs, filles de Pierre Arnaud et Catherine Durandeau se marient à 15 ans avec 2 frères, fils de Pierre Pouvreau et Françoise Courtin. En novembre 1679 à Villiers-en-Plaine, Catherine s’unit à Jacques Pouvreau, 27 ans. 2 ans après, naît leur premier enfant. Jacques meurt 1 mois après la naissance de sa dernière fille, Catherine se remarie l’année suivante, elle a 29 ans.
Le 26 janvier 1684, c’est au tour de sa sœur Jeanne, mon ancêtre (sosa 901) d’épouser à 15 ans Pierre Pouvreau (sosa 900), 32 ans. Leur premier fils naît 3 ans après. Jeanne décède en 1696 à l’âge de 44 ans. Les filles se mariaient peut-être jeunes dans cette famille, en tout cas je n’ai pas trouvé d’explication pour elles.
Anne Boeuf
En 1707, Anne Bœuf épouse Pierre Savin. Le même jour, Nicolas Bœuf le père d’Anne, lui-même veuf, épouse Françoise Thibaudeau, veuve, la mère de Pierre Savin. 3 ans plus tard, Françoise Bœuf 15 ans, fille de Nicolas, se marie avec Jean Savin, 32 ans, fils de Françoise. On peut supposer que les 2 familles vivant sous le même toit, les rapprochements entre les enfants étaient prévisibles. Cela peut expliquer l’âge de la mariée. Dès l’année suivante, Françoise qui a alors 16 ans, accouche d’un premier fils. 7 autres enfants suivent. En 1733, son mari Jean Savin meurt, mais elle a vécu au-delà de 64 ans.
Marie-Madeleine Bonneau
Le 24 février 1716, Marie-Madeleine, 12 ans, épouse Louis Bourdeau 22 ans à Faye-sur-Ardin. C’est ma plus jeune mariée et je dois dire que ses 12 ans me choquent un peu. Ils appartiennent tous les 2 à des familles de paysans. Marie-Madeleine est la dernière des 9 enfants de Jean Bonneau (sosa 924) et Perrine Canteau (sosa 925). On peut imaginer que la dot est bien maigre et ce n’est pas sa constitution qui retarde les noces ! Je n’ai que peu d’informations sur elle, je sais juste qu’elle meurt avant 1724 (elle n’a pas 20 ans !) puisqu’à cette date Louis se remarie. A-t-elle eu des enfants ? A-t-elle choisi son époux ? A-t-elle été heureuse pendant sa courte vie ? Autant de questions sans réponses. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle était bien jeune (trop jeune !) pour se marier et bien trop jeune pour mourir.
Marie Madeleine Sauzeau
Marie Madeleine Sauzeau (sosa 317), épouse a 15 ans, Jacques Bonnin (sosa 316). Ils se marient dans la paroisse d’Ardin. Par contre, ce n’est qu’en 1740 à l’âge de 22 ans que Marie Madeleine devient mère. Elle n’a guère le temps d’élever ses 4 enfants puisqu’elle meurt à 38 ans suivie dans la tombe par son mari 2 ans après.
Jeanne Bertaud
Jeanne, 16 ans, fille d’un laboureur de Faye-sur-Ardin, épouse Louis Godillon, lui aussi laboureur, âgé de 34 ans dans l’église de La Chapelle-Thireuil. Jeanne devient mère en 1743, à l’âge de 18 ans. Elle meurt à 23 ans après avoir mis au monde 4 enfants. Par contre, Louis Godillon ne se remarie pas de suite, il épouse une veuve 9 ans plus tard et n’aura pas d’autres enfants. Ici, pas d’explication évidente pour l’âge de l’épouse, peut-être est-ce tout simplement un mariage d’amour, le fait que l’époux ne se remarie pas de suite conforte cette hypothèse.
Marie Chouc
Marie Chouc a 15 ans quand elle épouse en octobre 1746 Jean Ayraud à Saint-Maixent-de-Beugné. Marie est la 5e enfant de René Chouc. En juillet de cette même année, sa mère est morte, laissant son père avec au moins 6 enfants. Est-ce pour fuir la charge de ses frères et sœurs que Marie quitte sa famille et se marie ? C’est une possibilité. Tout ce que je sais, c’est que 4 ans après elle met au monde un petit garçon.
Pas toujours facile d’analyser ces unions, cependant un mariage précoce peut aussi s’expliquer par une grossesse avant mariage. Il faut alors célébrer rapidement les noces pour que l’enfant ne naisse pas hors mariage. Cela ne semble pas être le cas chez toutes ces jeunes filles, même si je ne peux l’affirmer complétement puisque je n’ai pas forcement retrouvé toutes les naissances, sans parler des fausses-couches possibles.
On prête plus de liberté pour les mariages chez les paysans, malgré tout ces jeunes filles avaient besoin de l’accord de leur père pour se marier et, vu leur âge, on peut supposer que c’est lui qui choisissait le conjoint. Leur liberté était donc toute relative. De plus, les alliances entre familles ne sont pas uniquement l’apanage de la noblesse, certaines familles de paysans cherchaient aussi à tisser des liens grâce à des unions, et l’âge de la mariée n’entrait sans doute pas beaucoup en ligne de compte. Enfin, si le marié avait lui aussi la liberté de faire sa demande auprès des parents, cela n’était jamais le cas des filles, et ce sont toujours elles qui sont mariées jeunes. Heureusement, aucune n’a été mariée avec un vieillard. Malgré tout, ces exemples restent marginaux quand je les compare aux quelques 6 000 unions de mon arbre.
Sources :
Célibat et âge au mariage aux XVIIIe et XIXe siècles en France
Le mariage précoce des femmes à Bordeaux au XVIIIe siècle
J’ai une ancêtre d’une famille de paysans qui s’est mariée à 15 ans, et sa soeur à 12 ans et 8 mois. Une autre ancêtre s’est mariée à 12 ans, et sa soeur à 14 ans. Elles avaient perdu leurs parents et grands parents. Mon ancêtre a eu 23 enfants entre 15 ans et 45 ans, dans un milieu de paysans assez aisés, et sans doute très catholiques, un enfant ayant été prêtre réfractaire sous la Révolution.
J’aimeAimé par 1 personne
23 enfants c’est beaucoup ! C’est quelque part dramatique : être mariée aussi jeune et avoir autant d’enfants…
J’aimeJ’aime
Cet article est traité de façon intéressante et nous invite à nous pencher sur les « très jeunes mariées » de nos arbres au regard de tes explications.
J’ajouterai que l’on demandait aux futures épouses leur accord avant de les marier. Si elles étaient dociles ou amoureuses, elles acceptaient le parti proposé. Les deux familles avaient tout intérêt à ce que le mariage soit heureux et prolifique.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci Marie. J’espère que tu as raison sur le fait d’être amoureuses. Quant à être dociles, elles l’étaient sûrement, on le demandait aux femmes autrefois.
J’aimeAimé par 1 personne
Commentaire très tardif… J’apprécie beaucoup cette recherche sur vos très jeunes mariées. J’ai trouvé assez souvent des jeunes filles se mariant avec des hommes déjà veufs et pères de plusieurs enfants. Ce sont ces mariages qui me laissent songeuse… Il y a sûrement eu des lendemains difficiles pour les jeunes mariées.
J’aimeJ’aime
Merci Mauricette. Les mariages de jeunes filles avec des veufs sont fréquents, même si ce n’est pas trop le cas dans « mes très jeunes mariées ». Je crois cependant qu’elles se doutaient un peu de ce qui les attendait : s’occuper des enfants d’une autre, être plus servante qu’épouse… Mais cela n’évitait peut-être pas les lendemains difficiles !
J’aimeJ’aime