Pour mon 3ème #RDVancestral, je prends le risque de malmener l’histoire en sortant de mon rôle de témoin. J’espère que vous me pardonnerez.
Le charivari, autrefois, c’était un vacarme organisé dans le but de rire aux dépens de mariés jugés mal assortis. Le plus souvent, c’était à cause de la différence d’âge. On faisait alors grand tapage autour de la noce. À certaines époques et dans certaines régions, la moquerie allait très loin ou durait très longtemps, jusqu’à paiement d’une « rançon ». Il est vrai aussi que ces mariages pouvaient choquer : ce pouvait être un vieillard qui épousait de force une jeune servante ou, à l’inverse, une jeunette qui convolait pour obtenir rapidement un héritage !
En ce début d’année 1762, Philippe Roy, le frère de mon aïeul Pierre Roy, est tout juste veuf. Son épouse Marie-Jeanne est morte au mois de septembre dernier. Ils n’ont pas eu d’enfants. Il se retrouve seul pour s’occuper de son cabaret de La Chapelle-Saint-Laurent. Il n’est plus tout jeune, Philippe, il a 71 ans. Et pourtant, il n’a pas l’air malheureux ! Il se fait aider depuis peu par une jeune servante de 20 ans, Catherine Richard qui vient de Saint-Porchaire. Et voilà qu’aujourd’hui il annonce à tous ses clients qu’il a décidé de l’épouser. Dans la salle, tout le monde le félicite, on trinque, on boit ! Il en a de la chance, le cabaretier, de remplacer si vite sa défunte par une si jeune fille. Mais, de fait, les jeunes du village sont plutôt jaloux. Ce vieillard tout racorni va épouser la jolie Catherine !!! Certains décident discrètement de lui préparer un charivari. Ils imaginent déjà couvrir les chants religieux à venir par un énorme tintamarre fait de bruits de crécelles, tambours et autres casseroles !
15 juin 2018 au matin, je suis à la maison et je fais tranquillement mes recherches généalogiques. Je viens de trouver le décès de Marie-Jeanne et je vois que Philippe Roy et Catherine Richard ont peu après déposé leur bans de mariage à La Chapelle-Saint-Laurent et à Saint-Porchaire. J’ai appris à connaître aussi la jeunesse du terroir de l’époque, je sais qu’elle sera prompte à moquer le mariage d’un vieillard fraîchement veuf avec une drôlesse et, immanquablement, il y aura un charivari. Ce n’est pas que j’approuve cette union mais j’aime encore moins ce qui ressemble à des bizutages ou à de la justice faite par soi-même. Il faut absolument que j’empêche cela.
Je me rends dans ma chambre, ouvre la penderie et enfile une mauvaise chemise, une culotte de toile, des bas gris en laine tricotée à côtes, une veste large, un chapeau moitié usé et des sabots (j’ai une garde-robe assez rustique). Je file ensuite au garage et m’installe dans ma DeLorean DMC12 (j’ai une voiture plutôt moderne). Je la règle sur janvier 1762 et je me retrouve propulsé sur la place de l’église de La Chapelle-Saint-Laurent à la date choisie.

20 janvier 1762, il fait très froid et la place de l’église, à La Chapelle, est déserte. Je vais dans la taverne située juste en face, celle de Philippe Roy. Il n’y a personne d’attablé ce matin-là. Philippe somnole sur une chaise près de la cheminée dans la pénombre tandis que Catherine s’active à nettoyer la salle. J’aborde Philippe en me faisant passer pour mon ancêtre Alexis Deborde, le syndic* de la paroisse toute proche de Pugny (c’est un petit notable bien connu aux alentours mais je lui ressemble beaucoup comme c’est mon aïeul et Philippe qui n’est plus tout jeune n’y voit que du feu).
– Philippe, O l’é acértain que les jhenes do canton, i vont se fout’ de toé ! (je parle un peu le poitevin).
– O m’fé pas pllési’ Alexis ! Coument faire pour échivae ça ?
– Vins avéc moe vere le prâetre ! J’ai une idàie.*
Dans son presbytère, le curé Chedevergne semble nous attendre au coin du feu. J’explique à nouveau ce qui risque d’arriver dans les jours qui suivent. Le prêtre lui aussi n’est pas du tout content. Certes, il n’approuve pas cette union précipitée avec un tel écart d’âge, mais il aime encore moins le désordre et qu’on se moque du sacrement du mariage. Je lui expose mon idée (en bon français, parce que ça va un moment).
– Et si on faisait discrètement la cérémonie dans ma paroisse de Pugny. Guillon, le desservant, sera sûrement d’accord. Je le connais bien, c’est un brave homme, il ne s’y opposera pas, tout au contraire.
La solution est approuvée par tous, il n’y a plus qu’à arroser cela avec une bonne bouteille de vin de messe sortie de la cave.
15 juin 2018 le soir, la DeLorean me redépose à la maison. Je suis un peu fatigué par cet aller-retour temporel, je me précipite sur mon ordinateur et je cherche sur le site des AD79 s’il y a un mariage bien précis qui m’intéresse à Pugny en 1762…
15 février 1762, église de Pugny. La cérémonie de mariage commence. Il y a peu de monde à assister à l’union de Philippe Roy et de Catherine Richard mais c’est sans doute mieux ainsi : on a évité, comme l’écrit le curé, « le tumulte du charivari dont la canaille de ce canton les menace ». Pour la mariée, il y a son curateur et son frère. Pour le marié, sont présents un neveu et un ami. Il y a aussi mon aïeul, Alexis Deborde, celui que j’avais remplacé en janvier et qui est venu en voisin. Et il ne comprend vraiment pas pourquoi Philippe lui fait tous ces signes d’amitié !

Moins d’un an plus tard, Philippe et Catherine seront les parents d’un petit garçon prénommé Philippe lui aussi. Le vieux père mourra 2 mois après cette naissance. La jeune femme se remariera très vite avec un potier de son âge. Quant à Alexis Deborde, il s’est demandé toute sa vie sans trouver de réponse pourquoi Philippe Roy l’avait tant remercié de lui avoir évité les ennuis d’un charivari ! Pour ma part, j’espère ne pas avoir mis trop de bazar en modifiant légèrement le cours d’un événement.
Merci à Doc et Marty McFly sans qui rien n’aurait été possible !
- syndic* = équivalent du maire avant la Révolution
- Traduction du dialogue* (« Dicciounaere poetevin-françaes » de Lexilogos)
– Philippe, c’est sûr que les jeunes du canton, ils vont se moquer de toi.
– Ça ne me fait pas plaisir, Alexis ! Comment faire pour éviter cela ?
– Viens avec moi voir le prêtre. J’ai une idée.
Le charivari c’est aussi l’expression de jeunes gens qui réagissent parce qu’une jeune fille à marier dans leur village leur est enlevée par un homme qui n’aurait pas dû rivaliser avec eux. Peut-on leur en vouloir ? Mais c’est vrai que cela fait grand bruit !
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Merci Joël pour le lien vers cet acte notarié qui raconte un charivari qui a effectivement eu lieu à
DainvilleBoucres (Pas-de-Calais). Un très joli complément à mon article ! (corrigé suite au petit mot de Joël)J’aimeAimé par 1 personne
Et merci à vous, Raymond de m’avoir fait connaitre le charivari, ce qui m’a permis de mieux comprendre un acte lu il y a quelques semaines.
Le charivari a eu lieu à Boucres (maintenant Hames -Boucres dans le Pas de Calais, Dainville étant où sont situées les AD du Pas de Calais, et où j’ai photographié l’acte).
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Excellent et raconté avec beaucoup d’humour!! Mais triste réalité des temps anciens
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J’adore !
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Dans mon Dauphiné mais aussi en Savoie, le charivari attendait le gars d’un village voisin qui venait épouser une fille du village. Un barrage était fait à la limite des deux villages et le « coupable de l’enlèvement » s’en tirait avec de quoi saouler les barragistes!
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