Je n’ai pas beaucoup de photos de famille. Mal conservées ou manipulées, dispersées, il faudrait que je m’organise pour bien les retrouver, les classer et les expliquer. Il y en a quand même une qui échappe à ce brouillard. Pour encore mieux la mettre en valeur, je la partage avec vous. C’était la photo de famille préférée de mon père.

Cette photo évoque un paradis perdu, la ferme des Touches en 1904, là où mon père va naître en 1922, là où il va grandir et passer sa jeunesse. On y voit 13 personnes représentant 3 générations au dessus lui : son père enfant, ses grands-parents et son arrière-grand-père paternel. Je vous les présente, de la gauche vers la droite (en espérant ne pas me tromper). Je donne leur âge au moment de la prise de vue et le lien familial qui les unit au petit garçon au centre de l’image, le père de mon père, mon grand-père Hubert :
– Marie DEBORDE (1889-1980), 15 ans, sa sœur
– Lucien DEBORDE (1862-1939), 42 ans, son père
– 2 domestiques
– Radegonde DEBORDE (1892-1960), 12 ans, sa sœur
– Hubert DEBORDE (1896-1938), 8 ans, le plus jeune de la fratrie
– Denise DEBORDE (1891-1953), 13 ans, une autre sœur
– Marie CHESSERON (1865-1945), 39 ans, sa mère
– 2 autres domestiques
– Lucie DEBORDE (1886-1942), 18 ans, sa sœur, l’aînée de la fratrie
– Joseph DEBORDE, dit le pépé José (1825-1907), 79 ans, son grand-père, le seul membre de la famille sur la photo que mon père n’a pas connu
– Alcide DEBORDE (1887-1964), 17 ans, son grand frère.
Une photo personnelle, familiale, chargée d’affect pour moi… mais aussi une photo universelle. Papa aimait montrer toute la fierté de sa famille dans la pose. On y est propre, sans être endimanché, sauf peut-être les plus petits. Chacun tient à la main un objet ou un outil, pour montrer la prospérité et le travail : on voit donc des outils agricoles : des râteaux, des faucilles, des « dails » (ce sont les faux, en poitevin) et surtout la charrue trônant devant Lucien, le père de famille. Alcide tient l’aiguillon pour « toucher » les 2 bœufs attelés derrière lui. La mère, Marie, porte un seau pour porter à manger aux « gorets ». Les domestiques sont là aussi, associés à la réussite. Lequel est Léon Guédon ? Il y a sans doute aussi Cyrille Blanchard. Et qui sont les 2 autres ?
Mais il n’y a pas que le labeur dans la vie ! Les 3 plus jeunes ne sont pas en tenue pour aller vaquer aux champs. Le statut de l’enfant a évolué jusque dans les campagnes. Il y a le livre que tient une des filles. Symbolise-t-il la religion ou l’éducation ? Les 2 hypothèses sont plausibles, mais la tradition familiale veut qu’il s’agisse d’un livre de messe. Il y a aussi, tenu par le petit Hubert, un jeune chien qui, en nous tournant le dos, est le seul à contrevenir à la pose. Un rayon de soleil perce le feuillage et, comme par magie, illumine la scène.
Je ne sais pas si cette photo exprime une certaine vision de la vie agricole à son apogée, mais ça y ressemble un peu. On y voit l’aisance enfin acquise dans une famille rurale, génération après génération. Elle peut même se mettre en scène. Mais, bientôt, avec la guerre 14-18, la mécanisation, l’exode rural… le monde ne va pas tarder à changer dans les campagnes.
Papa était très fier de ce cliché, tout autant que ceux que l’on voit se tenir droit face à l’objectif. Il a eu le bonheur de voir cette photo choisie par sa belle-fille (et mon épouse) Sylvie pour être publiée en 2009 dans son livre 365 jours en Deux-Sèvres chez Geste éditions. Dans cet ouvrage sous forme d’éphéméride, où à chaque jour est associée une image, la photo familiale se retrouve à la date du 24 avril. Et je crois bien que, moi aussi, j’en suis très fier !

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