Quand je fais des recherches pour étoffer mon arbre, j’aime développer mes familles. Je ne me limite pas à mes sosas, mais je fais des recherches sur toutes la fratrie, leurs conjoints et leur descendance. Ainsi, j’ai pu collecter des informations précieuses sur mes ancêtres. Cela me permet aussi de mieux connaître la vie de la communauté familiale, leur environnement, leurs relations, leurs déplacements, parfois leurs joies et leurs peines.
C’est ainsi que j’ai croisé un acte original, celui d’une protestation.
Plantons le décor. Mon ancêtre Marie Nouzille, née dans une famille protestante de Villiers-en-Plaine mais convertie au catholicisme, épouse en 1700 Pierre Faraud un laboureur. Le couple aura 6 enfants, dont 4 atteignent l’âge adulte, 3 filles et un garçon. Pierre meurt jeune et Marie épouse en secondes noces Jean Baudouin, un marchand laboureur. Ensemble ils ont un fils. Le temps passe, les enfants grandissent, 2 filles s’unissent bientôt. Marie, l’aînée part vivre à Sainte-Pezenne (aujourd’hui Niort) et la seconde, Françoise, s’installe paroisse de Germond. C’est ensuite mon ancêtre Louis Faraud qui épouse Marie-Madeleine Sauquet dans l’église de Villiers-en-Plaine, le couple demeure dans la paroisse, sans doute avec la famille de Pierre, il y a là Marie Nouzille sa mère, Jean Baudouin son beau-père ainsi que les 2 enfants encore célibataires : Renée Faraud et Jean Baudouin fils.
3 ans plus après, c’est au tour des 2 plus jeunes de penser à convoler. Renée se fiance avec Luc Guillemin et Jean avec Louise Breillac. La famille a quelques biens et un contrat chez le notaire doit définir la dot de la mariée. Le 16 octobre 1740, on fait venir maître Aymier, notaire à Villiers. On ne rédige pas d’acte pour Jean Baudouin qui dispose d’une part de la communauté. Mais un contrat est dressé qui attribue à Renée Faraud une dot de 250 livres en argent ainsi que 6 brebis 2 agneaux…, le tout évalué à 50 livres, soit un total de 300 livres. On y rappelle aussi que la communauté est constituée de 3 parts. Le procès-verbal est signé par les diverses parties et le notaire retourne à son office.
En règle générale, le mariage a lieu dans les jours qui suivent, mais ici les 2 unions seront célébrées un mois plus tard, le 16 novembre 1740. Je trouve l’explication de ce délai dans une autre pièce, une protestation de Renée Faraud. Renée et son fiancé Luc Guillemenin, s’estiment lésés par la dot attribuée par sa mère et son beau-père à la fiancée. Renée fait donc le déplacement chez le notaire pour officialiser son désaccord. Le 13 novembre, dans l’après-midi, maître Aymier rédige la plainte dans les termes suivants :
« acte de protestation fait par Renée Faraud fiancée à Luc Guillemein Contre Jean Baudouin son beau-père et Marie Nouzille sa mère 1740
… Renée farault Déclare quelle a estez obligée par contrainte et ceduction exercée par son beau père et sa mère d’accepter la dot quils ont voulu lluy donner … dans leur communautté dans laquelle elle est fondée pour un tiers, et comme le tiers est beaucoup plus considerable que la somme promise en dot de plus de moitié, elle na point entendu prejudicier à aucuns de ses droits cest pourquoy. elle requiert acte de la protestation quelle fait contre les obligations quelle peut avoir contractée a cet egard et touttes les esnonciations et renonciations qui pouvoient donner atteinte ases droits entendant demander le tiers qui luy apartient dans laditte communauté et faire valloir les droits qui luy sonts acquis sans qu’on soit en estat de luy opposer le dit Contrat de mariage qui ne luy pourra nuyre ni préjudicier, et contre lequel elle proteste se faire relever acause de la lezion qui luy est portée par ycelluy, cest dequoy la ditte farault nous a requis acte a nous dit nottaires soussignez … »
Que s’est-il passé ensuite ? Ont-ils trouvé un arrangement ? Y a-t-il eu un autre acte chez un autre notaire ? J’ai épluché la liasse de 1740 de l’étude de Villiers-en-Plaine mais il n’y a rien d’autre les concernant.
En tout cas, le 16 novembre Renée Faraud épouse Luc Guillemin et Jean Baudouin convole avec Louise Breillac. Les 2 actes sont à suivre sur le registre de Villiers-en-plaine. Par contre, l’acte de la première union est signé par Pierre Faraud, le frère de Renée, alors que le second est suivi de nombreux paraphes mais pas celui de Pierre, son demi-frère.
Ces quelques semaines ont du être longues et créer de nombreuses dissensions dans le foyer. Renée Faraud, même poussée par son fiancé, devait avoir du tempérament. Il en fallait pour se rendre chez le notaire après avoir décidé d’affronter seule sa mère et son beau-père (et sans doute son demi-frère aussi). Peut-être avait-elle le soutien de son frère Pierre Faraud. Après le mariage, tous ont vécu dans le même village, il a bien fallu faire des compromis, même si les tensions devaient exister, puisque tous étaient obligés de se cotoyer. Mais, quelle que soit l’issue de ce conflit d’argent, le temps a dû apaiser les tensions. Et, en 1754, quand Jean Baudouin meurt, Renée comme son frère Pierre Faraud et son demi-frère Jean Baudouin est présente à l’inhumation de son beau-père.
Quand vous dites « convertie au catholicisme » n’est-ce pas un euphémisme ? Dans ma famille poitevine, mes ancêtres ont dû « abjurer » sous la pression des dragonnades
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Bien sûr, ils ont abjurés sous la contrainte ! C’est d’ailleurs ce que j’ai dit dans divers articles sur mes protestants dont cette famille est le parfait exemple.
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Il est rare que l’on sache si la fiancée est contente de sa dot ! Voilà un document intéressant qui prouve qu’il pouvait y avoir des dissensions plutôt que des réjouissances à l’occasion des noces.
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Je n’avais jamais vu de protestation, je ne savais même pas que ça existait !
Je suis toujours intéressée par les documents, trop rares, qui évoquent les femmes de ma généalogie.
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Ah! les histoires de famille ( souvent dans les familles recomposées) et pratiquement toujours liées à l’argent.
C’est bien, Renée avait du tempérament; il ne faut pas se laisser faire.
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Cela fait plaisir de voir cette réaction, preuve qu’il était possible de s’imposer même à l’époque
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Histoire passionnante de bout en bout. Il est parfois bon de rappeler que même si les époques précédentes laissaient peu de place à la remise en cause des aînés, nos ancêtres n’en pensaient pas moins. Et quelques rares fois, comme ici, cette remise en cause était officialisée. Un vrai bijou que ce document de protestation avant-gardiste.
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Merci ! La découverte de ce document a été une belle surprise.
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