Marie-Joséphine-Albertine Sacré est longtemps restée une inconnue dans mon arbre. Elle est la tante de ma grand-mère Augustine Renoux, la sœur de sa mère Hélène Sacré. En commençant ma généalogie, j’avais sans doute envie d’aller vite, de remonter les premières générations, j’imagine que c’est une des raisons pour lesquelles je ne me suis pas arrêtée à Albertine, l’unique sœur de mon arrière-grand-mère.
Et puis, au début de l’été, avec mes frères, nous avons dû vider la maison de mes parents. C’est au fond d’un tiroir que j’ai trouvé des abécédaires. Tout d’abord un premier brodé par ma mère quand elle était adolescente, paradoxalement c’est le plus abîmé. Ensuite, j’en ai découvert un second, puis un troisième. Le troisième m’intriguait car il était plus ancien, une date figurait dessus : 1890. J’ai donc cherché un peu au hasard dans ma généalogie, surtout du côté paternel puisque ma famille paternelle vivait dans cette maison depuis sa construction en 1904. En regardant une nouvelle fois l’abécédaire avec Raymond, celui-ci s’aperçut tout à coup qu’un nom y figurait : Albertine Sacré ! Jusqu’à ce moment-là nous n’avions rien vu…
C’était donc Albertine, la tante de ma grand-mère Augustine, qui avait fait ces petits points. Elle dont je connaissais juste la date et le lieu de naissance, le 27 juillet 1876 à Saint-Laurs. Faute de plus amples recherches, j’en avais déduit un peu légèrement qu’elle était décédée bébé. L’abécédaire m’apportait la preuve du contraire. Je suis alors retournée vers les archives de Saint-Laurs et j’ai cherché un éventuel mariage, d’abord dans les registres, puis dans les tables décennales en ligne. Mais rien sur la commune. J’ai ensuite regardé d’un peu plus près les décès, et c’est là que je l’ai trouvée : Albertine était décédée le 24 février 1904 à Saint-Laurs, âgée de 27 ans.
Sans cette petite composition, elle n’aurait pas laissé beaucoup de traces hormis ses 2 actes de naissance et de décès. Cet ouvrage, elle l’a ourlé en 1890 alors qu’elle avait 14 ans, un âge où beaucoup d’adolescentes devaient en réaliser. Broder ainsi était la première étape avant de se lancer dans le grand travail qu’était la préparation du trousseau ! Albertine l’a sans doute façonné comme les autres filles de son âge, mais il ne lui a jamais servi… Trouver l’abécédaire auprès de celui de ma mère et de celui de ma grand-mère m’a fait penser qu’Augustine (ma grand-mère) devait avoir entendu parler de cette tante, morte alors qu’elle avait juste 1 an, sinon pourquoi après son mariage aurait-elle emporté cet ouvrage dans sa nouvelle maison ? En cette fin de XIXe siècle, réaliser un abécédaire, c’était aussi montrer que l’on maîtrisait ses lettres (et ses chiffres). Albertine, fille de paysan, née en 1876, savait donc lire et écrire et le prouvait en exécutant cette composition.
Celui fait par Augustine a aussi résisté à mes recherches, c’est encore Raymond qui a repéré son nom, Augustine Renoux, bien caché au milieu du travail ! Il est un peu plus grand mais ne porte pas de date. Elle s’est mariée à 19 ans, en 1920, et l’a sans doute brodé avant. Elle a choisi des tons bleu et mauve pour le réaliser et il me semble que les diverses lettres d’une autre couleur doivent correspondre à des ajouts ultérieurs. Peut-être même de la main de mes frères ou moi lorsque enfants nous nous essayions au point de croix.
Aujourd’hui, ils sont accrochés dans mon bureau. Trouver ces petits alphabets m’a donné envie de me lancer moi aussi, et d’en faire un qui viendra rejoindre ceux des femmes qui m’ont précédées. Une façon de prendre ma place dans cette lignée féminine.
Un commentaire sur ma messagerie m’a fait remarquer que ces 2 abécédaires seraient incomplets puisque n’y figure pas le W. Là encore, je ne l’avais pas noté ! En me penchant sur la question, j’ai découvert que le W est apparu tardivement en France. Cette lettre qui appartient à l’alphabet des pays nordiques n’était au départ employée en français que dans les mots empruntés à ces langues. Les dictionnaires Armand Colin (1905) et Larousse (1922) ne la considèrent pas comme une lettre française. Elle entre dans notre alphabet au XXe siècle (autour de 1935) et figure pour la première fois en tant que lettre dans le Robert de 1964.
Récit simple mais très émouvant
Comme quoi les collatéraux ne sont pas à négliger dans notre arbre. Merci
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Oui, très touchant!! Pauvre » tante « Albertine décédée si jeune.
Vous savez très bien la faire revivre par ce beau texte.
C’est vrai que lorsqu’on commence son arbre, on a tendance à se fixer sur les ascendants et oublier les collatéraux.
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Voilà des trésors à conserver précieusement, accompagnés de leur histoire .
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Albertine et Augustine ont laissé un peu de leur histoire… Ces objets, lien magique entre nous et notre arbre, font rêver,
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Quelle superbe découverte, j’en rêve ! Alors en fait le W était déjà présent de manière non anecdotique au XIXème siècle dans les abécédaires brodés (tant mieux pour mes ancêtres champenois Wuadelle 😉 Même si, il est vrai, il était aussi souvent sacrifié, que ce soit dans les modèles où dans les broderies. Pour les éditeurs, je pense que c’était plutôt pour des raisons d’économie de place, mais ce n’était pas systématique. Comme le I et le J qui étaient souvent confondus, le Q qui pouvait s’obtenir par retournement du P, on laissait les brodeuses se débrouiller avec le W qui pouvait s’obtenir par redoublement du V. Ce qui est amusant d’ailleurs, c’est de constater parfois (rarement) le choix inverse dans certains vieux alphabets : on brode le W mais du coup on ne met pas le V 😉
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Merci Sylvaine pour toutes ces précisions !
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