Geneatech nous incite ce mois-ci à évoquer un aveugle de nos généalogies. Comme je n’ai pas trouvé de personne atteinte de cécité dans mon arbre, je parlerai d’un sourd-muet, Hilaire Rochard.
La recherche de nos ancêtres nous fait parfois découvrir des actes qui nous étonnent, nous émeuvent ou nous donnent envie d’en savoir davantage. C’est le cas de l’acte de mariage d’Hilaire Rochard avec Benoîte Rochard, le 29 septembre 1668 à Clessé, car on y apprend que le marié, Hilaire, est sourd et muet.
Des mariages entre deux personnes portant le même patronyme, cela se rencontre quelquefois. Dans le cas présent, ce qui donne un sel supplémentaire à l’acte de mariage, c’est le handicap du marié qui oblige le prêtre à préciser comment se déroule la cérémonie. Nous sommes donc à Clessé, le 29 septembre 1668 (BMS 1668-1711, vue 10/258), et c’est Berthon, vicaire de Saint-Germain-de-Longue-Chaume, qui rédige (transcription modernisée).
L’an soixante huit le vingt neuf de septembre,
deux dénonciations ayant été faites au cours de
dimanches consécutifs par monsieur le curé de
Clessé et dispensé du troisième par monsieur l’abbé
de La Roche-Guyon vicaire général de monseigneur
illustrissime et révérendissime évêque de Poitiers
en date du vingt-septième septembre ensemble la permission à
nous soussigné donnée de la même date n’ayant
découvert aucun empêchement, moi
vicaire de Saint-Germain-de-Longue-Chaume soussigné
ai interrogé Hilaire Rochard sourd et muet
et Benoîte Rochard tous deux de la paroisse de
Clessé ledit Hilaire Rochard m’a par signes
témoigné vouloir et prendre pour épouse
la dite Benoîte Rochard en me donnant incontinent
une bague et des deniers et ladite Rochard pareille
m’a dit quelle prenait pour son époux Hilaire
Rochard et après avoir pris leur mutuel
consentement de la manière ci-dessus dite en
ai solennellement et conjoints en mariage par
paroles de part et ce en présence de témoins
connus savoir de Jacques Roy grand-oncle,
Marc Touraine cousin germain dudit Hilaire Rochard,
Pierre Beauneveu aussi cousin, Michel Caye
Michelle Roy, Marie Caye, tous parents dudit Rochard,
Benoîte Joubert mère, Pierre Rochard frère, Renée
Rochard soeur de ladite Benoîte Rochard
Françoise Guignard, Michelle Marsault,
maître Pierre Guery, Michel Pépin, René Fourré,
Michel Godu, Mathurin Benier, Mathurin Godu
Pierre Dupon et plusieurs autres qui ont déclaré ne
savoir signer fors Jacques Roy et les soussignés.
Il existe en ligne un recueil, le Rituel du diocèse de Poitiers, qui, bien que postérieur à cette union (1736), nous éclaire assez bien sur les particularités de ce mariage. Ainsi il n’y a eu que 2 annonces (le vicaire utilise le mot dénonciation) au lieu de 3. Entre le concile de Trente (1545-1563) et celui de Vatican 2 (1962-1965), pour les mariages catholiques, il y avait 3 bans : pendant 3 dimanches consécutifs, le prêtre du haut de sa chaire annonçait le futur mariage et demandait s’il était connu des empêchements. Par dérogation, un ou deux bans pouvaient être supprimés par l’évêque ou le vicaire général avec une cause valable. Clessé appartenait alors à l’évêché de Poitiers et l’évêque à cette date était Gilbert de Clérambaut. Dans le cas présent, il n’a rien trouvé à redire. Il n’y avait pas de motif d’empêchement au mariage ce qui semble confirmer qu’Hilaire et Benoîte n’étaient pas parents ou alors très éloignés, car il y aurait sinon une dispense qui serait notée.
Toujours dans ce même livre, on nous explique quelles sont les personnes capables de contracter mariage, et parmi elles, les « sourds et muets » sont évoqués. Leur consentement peut être exprimé par des signes. Cela n’a pas toujours été le cas. C’est le pape Innocent III qui a ouvert le mariage aux sourds et muets à la fin du XIIe siècle. Cela était impossible auparavant, car les futurs époux devaient exprimer clairement leur consentement et dire « oui » devant les témoins et le prêtre.

Le couple formé par Benoîte et Hilaire a sans doute passé toute sa vie à Clessé. Ils ont eu 3 enfants qui n’ont pas souffert du handicap paternel : Pierre, né le 21 juillet 1669, puis Hilaire et François dont les actes de baptêmes sont introuvables. Le mutisme du père était alors ressenti comme quelque chose digne d’être consigné car il est parfois mentionné par le prêtre dans les actes qui le concernent : c’est le cas à la naissance de son fils Pierre, au décès de sa femme le 8 juin 1679 et enfin à son propre décès le 14 avril 1694, 26 ans après son mariage.



On peut se demander comment Hilaire communiquait au quotidien avec ses parents, ses amis, ses voisins. Il n’avait évidemment pas appris à écrire et la langue des signes n’était pas encore codifiée (il faudra attendre l’année 1771 pour que soit fondée par l’abbé de L’Épée la première institution gratuite pour sourds.)
On peut cependant supposer que, par des gestes et des expressions, il se faisait comprendre et même bien comprendre puisqu’il était parfaitement inséré et reconnu dans sa paroisse.
En tout cas, le 29 septembre 1668, le curé, la famille, les amis et les proches, tout le monde avait très bien saisi qu’il voulait prendre Benoîte pour épouse !
J’ai repris un article rédigé il y à quelques années pour la revue « Généa79 » à partir de recherches faites par M. Guy Rochard. Je le dédie à ma maman récemment disparue et avec qui j’ai pu partager mes premières découvertes généalogiques. Elle m’a souvent aidé en retrouvant et commentant photos anciennes et autres documents familiaux, faisant appel à sa mémoire sur la fin défaillante autant qu’elle a pu le faire.
Très intéressants, ces détails ! Et c’est chouette de savoir que cet homme était bien intégré.
Douces pensées pour toi Raymond, en cette période bien difficile.
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Merci Hélène.
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je suis un descendant direct de ce Hilaire Rochard sourd et muet par ma grand mère paternelle dont la grand mère maternelle se nommait Olympe Rochard (1847-1937).
Merci Raymond pour toute ces informations complémentaires.
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Très intéressant et émouvant!!
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