Je reprends l’histoire de la maison de mes grands-parents maternels que j’avais délaissée. Grâce à différentes cartes, j’ai pu établir que ce bâtiment occupé aujourd’hui par la mairie de Terves a été bâti vers 1830 à l’emplacement des ruines de la borderie de la Cure. J’ai donc essayé de retracer l’histoire avant la Révolution de cette exploitation située à quelques pas de l’église paroissiale.
Le nom de la borderie, la Cure, vient du fait qu’elle dépendait directement de la cure (le presbytère) de Terves. Les prêtres qui occupaient ce poste en touchaient donc les revenus, ce qui pouvait être financièrement intéressant. Retrouver les différents prêtres ayant occupé le presbytère aux XVIIe et XVIIIe siècles a été facile grâce à leur signatures dans les registres. Jean BERTHELOT, prêtre curé jusqu’en 1643 en a sans doute bénéficié juste avant le bon Alexis MUSSAULT, le prêtre qui notait avec empathie les causes des décès de ses paroissiens. Les desservants qui ont succédé jusqu’à la Révolution ont été Jacques GIRARD, DESAYVRE, Roch MOREAU, François PICHARD, Isaac PINEAU puis son frère Henry PINEAU, COULONNIER, Bonaventure CROZON et Pierre PROUST pour des durées très variables.

Grâce aux registres, j’ai découvert une première trace de la borderie de la Cure en 1655 mais sans doute est-elle bien plus ancienne. Cette année-là, elle était occupée par Jean TURPAULT et Jeanne CROISÉ tout juste mariés. La mère de Jean TURPAULT décède à la borderie en mai 1655, « ayant demeuré plus de 2 mois au lit de la mort. » Le premier fils, Jean, y meurt en bas âge en 1656. Un autre garçon, Jacques, y nait en 1658. La mère, Jeanne CROISÉ, y succombe le 6 mars 1665. Jean TURPAULT se remarie très vite avec Catherine GAUFFRETEAU. Une petite fille prénommée Catherine nait, toujours à la borderie de la Cure, en 1666 mais, 2 ans plus tard, pour la naissance de leur fils Charles, ils ne sont plus dans le bourg. Ils habitent et travaillent dans un hameau de Terves, celui de la Boulardière. Quels laboureurs travaillent ensuite, de 1667 à 1747, à la borderie de la Cure, quelles familles y demeurent ? Cela reste pour l’instant un mystère. Je sais juste qu’en 1705, Jacques BILLAUD, bordier de la borderie de la Cure âgé de 60 ans, y décède en présence de son fils François. Il est sans doute le mari de Françoise ROUSSEAU épousée en 1665 mais j’ignore depuis quand il travaille à la borderie et je ne sais pas si sa descendance y est restée. Jean TURPAULT et Jacques BILLAUD ne sont pas dans mon arbre généalogique. Je ne peux donc pas, en l’état actuel de mes recherches, me vanter d’avoir des ancêtres y ayant travaillé au XVIIe siècle. Il va me falloir attendre 1747 pour retrouver des exploitants connus de la Cure qui de plus se relient à mes aïeux.
Les frères PINEAU, Isaac et Henry, ont été les desservants de l’église de Terves de 1741 à 1773. J’ai raconté l’histoire de ces deux hommes nés dans une famille protestante de l’actuelle Vendée convertie au catholicisme. J’ai la chance d’avoir retrouvé deux contrats de fermage les impliquant chacun. Il me permet de connaitre les deux familles de laboureurs qui ont occupé la borderie de la Cure de 1747 à 1767 au moins. Elles se retrouvent dans mon arbre sans être mes ancêtres directs. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est la teneur de ces contrats de fermage.
Le fermage de 1747 : Il est passé chez Me LOZEAU entre le curé Isaac PINEAU d’une part et Pierre FRADIN, sa femme Jeanne BERTAUD et le fils de cette dernière Louis GABARD d’autre part. De ce que j’en comprends, la borderie se compose d’une maison, des terres dépendant du moulin disparu de Maugrain (4 petits champs et les îlots où était l’écluse), deux champs derrière la borderie, le pré de la Cure, le pré de la Croix, un bois taillis, le jardin de la Pré, le petit cimetière et les ouches de Bonne Nouvelle et de l’Orgouillerie ainsi qu’un autre pré et un autre champ non dénommés. D’après mes calculs, l’ensemble des terres cultivables serait d’environ 2 hectares. Le bail de 5 années commence à la saint Michel. Des clauses particulières sont précisées. Le curé se réserve quelques petits champs pour lesquels il demande aux occupants de nombreux travaux annuels (coupes de bois et de haies, charroi de foin, fauchage de blé…) et donne quelques petits avantages aux bordiers (moitié du foin, fruits de certains jardins). Les occupants de la borderie se doivent d’entretenir la borderie, les matériaux étant fournis par le prêtre. Ils ne doivent pas abattre d’arbres mais auront droit aux branches. Ils paient le curé en nature : ils verseront au curé le 1/5 des pailles, le quart des chaumes ainsi que la moitié des fruits et grains qu’ils devront nettoyer et engranger pour le curé. Un contrat de cheptel sera fait également pour la saint Michel. Le curé fournira les bestiaux et les bénéfices seront là aussi partagés moitié par moitié. La même règle de moitié s’applique aussi pour le paiement des semences et les impôts. Pour finir, les revenus annuels de la ferme sont estimés à 90 livres (environ 1 000 € selon un convertisseur en ligne). Les preneurs sont autorisés à cultiver quelques champs supplémentaires.
Le fermage de 1762 : Il est rédigé par Me TEXIER et concerne le curé Henry PINEAU d’une part et Joseph BACLE et sa femme Marie BAUDU d’autre part. La borderie se compose d’une maison, d’un toit à bestiaux, d’un jardin et d’une prairie, 4 pièces de terre, le champ de Landes, 2 champs près de la chapelle de Bonne Nouvelle, le pré de Maugrain, 3 pièces de terre en direction de Beaurepaire, le champ du pas Breuil ainsi que 2 pièces de terre et leur pré appelé les Pallennes. Il me semble qu’il y ait un peu plus de terres dans la borderie que 15 ans auparavant. Il faut l’espérer en tout cas car les règles ont changé. Le paiement ne se fait plus en nature mais en argent : les nouveaux bordiers doivent payer 160 livres (environ 1 800 €) à régler en 2 fois par an. Il leur faut de plus payer tous les cens et impôts dus au seigneur. Pour le reste, les clauses particulières qui pèsent sur les bordiers sont proches de celles de 1747.
Ce fermage permettait d’améliorer l’ordinaire des curés de Terves qui ne recevaient sinon que la portion congrue de la dîme (500 livres par an environ à l’époque des frères PINEAU) ainsi que le casuel (offrandes lors des baptêmes, mariages sépultures et une partie des quêtes). Pour les paysans qui cultivaient les terres de la Cure, il leur fallait espérer que les récoltes soient bonnes. Pour cette raison peut-être, les laboureurs de la Cure changent régulièrement. Les registres m’apprennent que c’est François CAILLEAU qui l’exploite de 1775 à 1779 puis Pierre BOURREAU vers 1788.
Le fonctionnement de la borderie aurait pu continuer ainsi très longtemps dans une paroisse rurale qui vivait peu ou prou en autarcie. La Révolution française et la guerre civile qui s’en suivit dans la région allaient en modifier le cours séculaire.
(à suivre)
