Le Long Hiver à Chanteloup

Geneatech nous invite ce mois-ci à parler de l’hiver. Direction Chanteloup au sud de Bressuire pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Les hivers n’étaient pas plus rigoureux qu’aux alentours mais les curés qui desservaient cette paroisse étaient un peu plus bavards.

Francisco de Goya. El invierno

En 1709, le curé François Brunet notait très brièvement mais très efficacement les événements marquants de l’année restée dans les mémoires comme celle du Grand Hiver* : « Il y a eu dans cette année 1709 quatre choses très remarquables, le grand froid, la disette de grain par conséquent la famine bien grande, plusieurs et grands impôts et une très grande guerre. Et le pis de tout disette de vin. » 

En 1740, un de ses successeurs, le curé Armand Martineau, prend sa plus belle plume pour relater dans son registre les conséquences de la saison froide qui, plus tard, reçut le nom de Long Hiver : « 1740, année de très grande mortalité. L’année a duré 8 mois en gelée, glace. Il neigea et grêla le 4 mai.« 

J’ai voulu vérifier les propos du prêtre et pour cela j’ai relevé les décès de la paroisse pour la première moitié du XVIIIe siècle. Le pic de mortalité est effectivement bien plus net pour cette année 1740 que pour 1709.

De ce que j’en comprends, en 1709, les décès eurent lieu essentiellement l’année suivante, en conséquence de la disette. En 1740, c’est le froid vif et prolongé qui fut la cause principale de nombreux trépas. Avec 80 morts, cette année détient un triste record pour la paroisse quand la moyenne sur le demi-siècle est de 30 (exceptées les années 1728 et 1729 très lacunaires).

En y regardant de plus près, on découvre que les mois d’avril et mai 1740 sont particulièrement cruels.

Le froid est si terrible que le curé Martineau organise le 8 mai une procession religieuse à Pitié, sur la paroisse voisine de La Chapelle-Saint-Laurent pour demander à la Vierge et à saint Roch, de les aider. Il note dans son registre :

« Vœux de Pitié le 8 mai et saint Roch pour la mortalité fait en 1740. Que cette année est vue mortalité qui n’a jamais lieu normalement dans cette paroisse mais aussi généralement sur tous lieux, l’on a fait vœu à saint Roch en cette église pour apaiser la mortalité, nous avons lu lettre de notre demande comme aussi son aide en procession à Pitié le 8 de mai et avons porté un cierge un jour de férié et sainte la sainte vierge nous a exaucé sans préjudice de la procession qu’on a la coutume que ce doit le mardi de Pâques un cierge a été brûlé et le doit être tous les ans le jour de saint Roch un cierge en cette intention et à Pitié aussi un cierge. Les habitants sur la « démontrance » auront la foi en saint Roch et sainte Vierge et observeront la fête et pour approbation on peut le faire approuver par messire l’évêque.« 

Après cette procession mais surtout grâce à l’arrivée du redoux, les chiffres reviennent enfin à la normale. Le Long Hiver a malheureusement laissé des traces dans la paroisse, tuant hommes et femmes, même dans la force de l’âge.

Parmi les victimes de ce Long Hiver à Chanteloup, il y a mon ancêtre Jacques Chesseron (sosa 576), tisserand, décède le 8 mai à l’âge estimé de 64 ans.

En élargissant ma recherche à tous mes ancêtres directs décédés pendant les 5 premiers mois de l’année 1740, je trouve 14 autres aïeux :
– Marie CAM (sosa 575), veuve de tisserand de 62 ans le 4 février à La Chapelle-Saint-Laurent
– Mathurine VRIGNAULT (sosa 305), femme de marchand de 46 ans le 6 février à La Chapelle-Saint-Laurent
– René PITAUT (sosa 756), laboureur de 75 ans, le 28 février à Pierrefitte
– Catherine GUERRY (sosa 1779), veuve de tisserand de 80 ans,le 5 mars à Terves
– Jacquette ROBIN (sosa 385), veuve de charpentier de 56 ans, le 8 mars à Terves
– Perrine TURPAULT (sosa 755), journalière de 70 ans le 21 mars, à Pierrefitte
– Claude AUGER (sosa 279), laboureur de 63 ans le 26 mars, à Vernoux-en-Gâtine
– Jacques GAZEAU (sosa 422), bordier de 48 ans le 27 mars, à La Chapelle-Saint-Laurent
– Jacquette VIOLLEAU (sosa 951), femme de sabotier de 49 ans, le 29 mars à Terves
– Jean CHATAIGNER (sosa 1020), maréchal de 80 ans le 11 avril, à Saint-Maurice-des-Noues
– François BOURGEOIS (sosa 830), charron de 42 ans le 24 avril, à Chiché
– Clémentin CHARRIER (sosa 862), meunier de 52 ans le 30 avril, à Saint-Clémentin
– Jean AUBINEAU (sosa 642), laboureur de 62 ans le 3 mai, à Courlay
– Marie FOURNIER (sosa 355), épouse de meunier de 44 ans, le 23 mai à Moutiers-sous-Argenton

J’ai voulu vérifier si ce nombre était également supérieur à celui des autres années dans mon arbre. En relevant ceux dont je suis sûr de la date de sépulture entre 1730 et 1750, l’année 1740 avec ses 19 décès (dont 15 en seulement 4 mois, de février à mai) dépasse nettement toutes les autres.

Même s’ils ne sont pas tous forcément morts de froid, il est certain que le Long Hiver de 1740 a précipité la fin de plusieurs de mes ancêtres, certains très âgés étant plus fragiles que d’autres. Le Long Hiver fut aussi pour mes aïeux le Mortel Hiver. Est-ce aussi le cas dans votre arbre généalogique ?


Articles connexes de notre blog concernant le Grand Hiver et le Long Hiver :
Il y a 310 ans le grand hiver en Deux-Sèvres : La liste des notes des curés des Deux-Sèvres sur le Grand Hiver. Elle été mise à jour le 31 décembre dernier et contient désormais 10 textes de prêtres
6 janvier 1709, le jour où naquit Jean : Sylvie raconte les premiers jours de 1709 avec la naissance de son ancêtre Jean Pipet
Une assemblée d’habitants en 1709 : On retrouve aussi des traces de cette année exceptionnelle dans des registres notariaux, un exemple avec Me Loubeau de Moncoutant
Année meurtrière à Chanteloup : L’article d’aujourd’hui en est la reprise et l’approfondissement.

12 commentaires sur “Le Long Hiver à Chanteloup

Ajouter un commentaire

  1. bonjour,

    merci beaucoup pour cet article, pour cette étude passionnante , un vrai travail d Historien de demographe ! Remarquable et j ai aussi des ancêtres à Chanteloup.

    jean-Louis Guiton

    Aimé par 1 personne

  2. Bonjour.

    Effectivement, je ne peux que m’associer à l’éloge de M. Guiton : cet article est un régal ! C’est un véritable travail d’historien et démographe. La démonstration (de la surmortalité des années 1709 et 1740) est joliment faite.

    Merci pour ce texte et, plus généralement, pour l’ensemble de vos textes.

    Merci également (et surtout) pour votre engagement au CG79.

    Bonne fin de semaine.

    Aimé par 1 personne

  3. Merci pour cet article qui me ramène 40 ans en arrière lorsque que je rédigeais mon mémoire de maîtrise d’Histoire moderne sur la paroisse de Chanteloup au XVIII ème siècle et que j’ai fait publier en 1985 ! A l’époque j’avais été surpris de lire sous la plume de l’abbé Brunet que, selon lui, la disette de vin était pire que les impôts, le froid, la guerre, la famine ! C’était oublier que lorsqu’il n’y a plus de vin, il n’y a plus d’Eucharistie…On comprend alors mieux cette réflexion du curé chanteloupais. Pour ce qui concerne le curé Armand Martineau, il a été enterré le 16 novembre 1741 dans l’allée centrale du petit cimetière de Chanteloup. La dernière signature de ce prêtre sur le registre paroissial date de la fin octobre 1740. On voit d’ailleurs son écriture se détériorer tout au long de cette année 1740, signe d’une santé en détérioration. La hausse de la mortalité cette année-là est due aux mauvaises récoltes de 1738 qui ont entraîné une crise céréalière l’année suivante, à l’hiver 1739-1740 avec la grêle et les fortes pluies qui ont fait des dégâts très importants aux cultures, à l’épidémie de fièvre pulmonaire qui a sans doute été à l’origine du décès du curé Martineau. Les curés de l’époque faisaient parfois oeuvre de démographe en cherchant à connaître les causes des événements liés aux mouvements de population, comme nous le faisons en ce moment. A ce propos, il est curieux de lire la lettre du curé de Chanteloup Antoine François Picherit à Alexis Jouyneau des Loges, le 15 février 1773, publiée dans les « Annonces et Affiches du Poitou ». Il y indique qu’il fait des « dépouillements » des registres rédigés depuis son arrivée dans la paroisse en 1761 et constate que la population ne « décroît » pas. En 1778, un « curé des environs de Bressuire » fait également une surprenante étude démographique de la paroisse de Boismé et publiée là encore dans les « Annonces et Affiches du Poitou ». Je ne saurais trop recommander de relire les très intéressantes lettres envoyés à Jouyneau des Loges par des habitants de Gâtine et du Bocage, particulièrement celles de Talleyrie, curé de La Chapelle-St-Laurent qui nous en apprennent beaucoup sur divers sujets comme, par exemple, les avancées en matière d’agriculture par l’introduction de nouvelles plantes fourragères.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Pascal pour ton regard d’historien et pour les compléments que tu donnes à mon article. Je suis ravi de t’avoir rajeuni de 40 ans. Pour la disette de vin de 1709, je n’avais pas pensé que c’était l’eucharistie qui pouvait préoccuper notre brave curé.

      J’aime

  4. merci beaucoup pour ce complément très riche qui alimente encore plus ma curiosité !

    Votre ouvrage consacré à Chanteloup est en bonne place dans ma bibliothèque.

    merci à Tous pour ces articles , recherches et communications .

    Aimé par 1 personne

  5. Merci pour ce bel article Raymond. J’ai vérifié dans ma généalogie. Ce n’est pas exhaustif car toute ma généalogie, loin de là, n’est pas sur Geneanet, le reste est sur papier. Dans ce que j’ai, j’ai cherché les décès de 1740. Les 4 trouvés sont sur les Deux Sèvres et le sud de la Vendée, et tous en mai 1740. Il y a :

    Marguerite GUERINEAU, que j’avais évoqué dans 4 femmes, qui avait connu 4 mariages, avait eu 10 enfants presque tous décédés, et qui avait survécu à Rochefort, ville bien frappée par les épidémies, aux grands hivers de 1693-1694 et de 1709. Et bien Marguerite a été inhumée le 5 mai 1740 à Niort, à l’âge de 70 ans.

    Pierre MANDIN inhumé le même jour à l’Ile d’Elle (85) à l’âge de 44 ans

    Pierre COUTELIER, jeune marié, inhumé le 24 mai 1740 à Celles sur Belle

    Jean BACHELIER, la quarantaine, inhumé le 29 mai 1740 au Poiré sur Velluire (85)

    Aimé par 1 personne

Répondre à Guiton Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑

Nos ancêtres en Poitou

Généalogies deux-sévriennes

GÉNÉA79

Le blog du Cercle généalogique des Deux-Sèvres

Le Blog de Lulu Sorcière

Généalogies deux-sévriennes

Chroniques du Poitou

Généalogies deux-sévriennes

Epik Epoque

Généalogies deux-sévriennes

Nids de MOINEAU

Site généalogique consacré aux MOINEAU de Mauzé-Thouarsais et d'ailleurs.

L'arbre de nos ancêtres

Généalogies deux-sévriennes

La généalogie par GénéaBlog86 !

Généalogies deux-sévriennes

La Drôlesse

Généalogie en Poitou et Anjou

Nelly, ancêtre du Poitou

Blog généalogique Poitou, Dordogne et Pas-de-Calais

La Gazette des ancêtres

Généalogies deux-sévriennes

De Moi à la Généalogie

Généalogies deux-sévriennes

Nos ancêtres en Poitou

Généalogies deux-sévriennes

GÉNÉA79

Le blog du Cercle généalogique des Deux-Sèvres

Le Blog de Lulu Sorcière

Généalogies deux-sévriennes

Chroniques du Poitou

Généalogies deux-sévriennes

Epik Epoque

Généalogies deux-sévriennes

Nids de MOINEAU

Site généalogique consacré aux MOINEAU de Mauzé-Thouarsais et d'ailleurs.

L'arbre de nos ancêtres

Généalogies deux-sévriennes

La généalogie par GénéaBlog86 !

Généalogies deux-sévriennes

La Drôlesse

Généalogie en Poitou et Anjou

Nelly, ancêtre du Poitou

Blog généalogique Poitou, Dordogne et Pas-de-Calais

La Gazette des ancêtres

Généalogies deux-sévriennes

De Moi à la Généalogie

Généalogies deux-sévriennes