Une assemblée d’habitants en 1709

Je fais actuellement le dépouillement systématique des contrats de mariage du notaire Jean LOUBEAU (un collatéral) de Moncoutant entre 1697 et 1730. Je participe ainsi à ma petite échelle à l’enrichissement de la base de données du Cercle généalogique des Deux-Sèvres tout en y découvrant des actes concernant mon arbre généalogique. C’est ainsi que mon regard s’est arrêté sur celui titré Acte d’assemblée des habitants de Pugny et Breuil-Bernard du 3 mai 1709. Pugny et Le Breuil-Bernard sont deux paroisses voisines du Poitou. C’est dans ce territoire qu’a vécu un couple de mes ancêtres, le notaire Jean JOLY et sa femme Louise BRANCHU (sosas 516 et 517), au tournant du XVIIe et XVIIIe siècle.

En réalisant les clichés de cet acte, j’espérais obtenir quelques informations supplémentaires sur ces aïeux. Mais je n’avais pas réalisé que, plus que le lieu, ce qui rendait cet écrit intéressant, c’était sa date :  le 3 mai 1709, juste après le terrible grand Hiver si souvent décrit par les curés sur leurs registres paroissiaux.

Cet acte notarié donne la parole aux habitants des deux paroisses. L’assemblée est convoquée par Salomon AYRAUD, syndic* perpétuel de la paroisse de Pugny. Salomon AYRAUD est un noble, écuyer, alors receveur des baronnies de Puybeliard, Chantonnay et Sigournais où il demeure. Sigournais se situe dans l’actuelle Vendée, à plus de 40 kilomètres de Pugny. Pourquoi est-ce lui le syndic de Pugny ? Sans doute parce qu’il est sous l’autorité directe de l’intendant, représentant du Roi aux larges attributions judiciaires, policières et financières. Le pouvoir est très vertical et il cherche à lever de plus en plus d’impôts. Salomon AYRAUD de par sa fonction cochait sans doute beaucoup de cases pour être syndic perpétuel.

Le nom d’une vingtaine de petits notables présents (maréchal, laboureurs, marchands…) est cité à suivre. Je ne peux y retrouver mon ancêtre Jean JOLY car il est décédé quelques années plus tôt mais son fils, Jean, marchand âgé de 26 ans, fait partie des signataires de l’acte. Que veulent les habitants de Pugny et du Breuil-Bernard, si longtemps opposés entre protestants et catholiques ? Comme me le signale mon ami Jean-Philippe, cet acte rassemble la communauté des villageois au-delà des fractures religieuses, tant est grande la catastrophe et ses conséquences à venir. Les habitants disent…

  • que, suite au grand hiver, le Roi a accordé des avances pour les semences mais la nouvelle est arrivée trop tard dans les paroisses pour qu’ils en profitent.
  • que la saison est désormais trop avancée pour semer de la baillarge**. Les terres ne sont bonnes que pour le seigle sauf quelques unes (entre 26 et 33 ha) adaptées au froment.
  • que la récolte à venir sera très faible : il n’y aura même pas de quoi semer l’année prochaine.
  • que le froid n’est pas seul en cause, les terres sont « espongieuses », remplies d’eau suite aux grandes pluies.
  • que les marronniers, châtaigniers et noyers sont tellement gâtés par les gelées qu’ils ont été étêtés et ne donneront pas de fruits avant plusieurs années.
  • qu’il n’y a presque rien pour nourrir les bestiaux : on leur donne de la paille mêlée à un peu de foin.
  • que les genêts des francs bois qui servaient à faire de l’engrais sont tous morts et perdus par les gelées.
  • que les pertes sont telles que les métayers des paroisses de Pugny, du Breuil-Bernard et des alentours « abandonnent ».

L’hiver est passé mais les mois à venir s’annoncent encore plus difficiles pour la communauté villageoise : les récoltes sont compromises, le cheptel est menacé et les paysans renoncent à cultiver. L’assemblée demande donc au notaire Jean LOUBEAU de faire remonter à l’intendant leurs nombreuses doléances. Je ne sais si elles furent entendues. Quant aux conséquences démographiques du grand Hiver sur les 2 paroisses de Pugny et du Breuil-Bernard, on les devine très peu en consultant les registres paroissiaux. Ceux du Breuil-Bernard sont malheureusement manquants entre 1708 et 1710. Ceux de Pugny commencent juste en 1709 mais ils sont sans doute lacunaires. On y recense 2 décès en 1709, 6 en 1710, aucun en 1711, 1 seul en 1712 ainsi qu’en 1713). La crise liée au grand Hiver explique-t-elle le pic apparent de décès en 1710 ? Le « panel » est certes faible pour avoir une valeur statistique mais on considère qu’au niveau du Royaume, 600 000 personnes moururent de froid ou de la famine et des maladies qui en découlèrent. Toutes les paroisses furent touchées.

Image extraite du manuel scolaire pour le CE
Belles images d’Histoire (éd. Rossignol)

Comment la famille de mes aïeux de Pugny a-t-elle traversé cette année terrible ?  Le notaire Jean JOLY, décédé en 1692 au Breuil-Bernard, ne l’a pas connue. Sa veuve, Louise BRANCHU, en charge de deux jeunes garçons, Jean et Jacques, mon ancêtre, s’est remariée en 1695 avec Thomas DENIS. Un beau mariage pour Louise car Thomas DENIS a des revenus, il est fermier de la terre, seigneurie et prieuré de Pugny. Il est absent le jour de l’assemblée, son nom et sa signature n’apparaissant pas sur l’acte. Deux enfants sont venus agrandir la famille, Perrine en 1696 et André-Thomas en 1699. En 1709, le couple vit donc avec 4 enfants âgés respectivement de 26, 19, 13 et 10 ans. L’aîné Jean JOLY est marchand et il ne va pas tarder à se marier puisque, en novembre 1709, il s’unit avec Marie MOSNAY. Son jeune frère, mon ancêtre Jacques JOLY, a encore quelques années devant lui avant d’épouser Jeanne BAGUENARD, puis de devenir syndic et sacristain de la paroisse de Pugny. Les plus jeunes, Perrine DENIS et André-Thomas DENIS sont promis à un bel avenir mais ils ne le savent pas encore.

La famille n’est sûrement pas celle qui a eu le plus à souffrir de cet hiver exceptionnellement rigoureux. Contrairement aux journaliers, métayers et bordiers qui composaient l’essentiel de la population des paroisses de Pugny et du Breuil-Bernard, ils avaient du bien, des revenus suffisants, de la famille, des relations… Fermier général, Thomas DENIS, le deuxième époux de Louise BRANCHU, était en charge de la perception d’impôts. Même s’il en était plutôt épargné, il ne pouvait ignorer les souffrances du monde rural .

*syndic : équivalent du maire
**baillarge : orge. Elle sert essentiellement à l’alimentation animale. Le seigle servait à faire la farine rustique, le froment étant réservé aux plus aisés.

2 commentaires sur “Une assemblée d’habitants en 1709

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  1. Un compte-rendu très intéressant. Dépouiller systématiquement des actes notariés, quel courage !

    Pour ma modeste part, j’ai entrepris de faire les relevés des BMS de ma petite commune natale, après avoir constaté que rien n’avait été fait. Je dépouille la période 1674-1692 et ça ne va pas vite. J’ai l’impression de contribuer à enrichir les bases de données du Cercle Généalogique d’Ille-et-Vilaine, mais il y aurait malheureusement fort à faire. Et je me demande si ce type de relevé est utile à l’heure de la numération généralisée des actes ?

    Qu’en pensez-vous ?

    MCL

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Marie-Claude
      Je ne dépouille pas systématiquement tous les actes notariés d’un notaire mais uniquement les contrats de mariage pour le Cercle généalogique des Deux-Sèvres. Et quand je tombe sur un acte qui m’intéresse ou concerne mes ancêtres (assemblée, fermage, etc.) je le prends en photos pour l’exploiter personnellement.
      Pour la numérisation généralisée, je doute que ça aille vite pour les notaires car ça fait pas mal de mètres linéaires aux AD et nous apportons une plus-value grâce à l’indexation qui va sur notre base de données bien utile à nos adhérents, surtout ceux éloignés du département.

      Aimé par 1 personne

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