À la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, à 6 ans d’intervalle et à une dizaine de kilomètres, 2 de mes ancêtres se sont noyés dans le marais poitevin.
L’un est mon sosa 882, Jean Savin qui meurt en 1695 à Benet. L’autre est Octavien Sacré, le fils de mon sosa 704, décède à Damvix en 1701.
Il faut imaginer à quoi ressemble le marais poitevin entre Vendée et Deux-Sèvres à cette époque. Sans l’intervention de l’homme, le paysage serait celui d’un vaste marécage. Le panorama actuel est le fruit d’un long travail qui commence dès le XIe siècle afin de drainer cette grande cuvette. À cette époque, les seigneurs locaux font don de nombreuses étendues aux abbayes proches. 5 d’entre elles s’associent (l’Absie, Saint-Maixent, Saint-Michel-en-l’Herm, Maillezais et Nieul-sur-l’Autize) et creusent alors des canaux, lesquels assèchent le marais et servent de voies de navigation et de communication. Mais la guerre de 100 ans vient détruire une partie de ce qui avait été construit : les écluses sont cassées, les canaux s’ensablent… François Ier veut s’atteler à la réparation des dégâts, hélas ! là encore, les guerres de religion viennent anéantir ses projets. Il faut attendre Henri IV et Sully pour qu’un édit de 1599 autorise le dessèchement des terrains boueux. On fait appel à un ingénieur hollandais, Humfroy Bradley, qui amène à son tour des familles bataves et ce malgré la méfiance des habitants. Aujourd’hui, on trouve toujours le canal des Hollandais, souvenir de cette époque ! À partir de là, les travaux d’asséchements se poursuivent jusque sous le règne de Louis XIV, époque à laquelle vivent Jean Savin et Octavien Sacré.

Sur la carte de Cassini, établie entre 1748 et 1783, on remarque que des travaux d’asséchement ont été réalisés au sud-ouest de Maillezais mais que rien n’est encore fait autour de Damvix, Bouillé-Courdault ou Benet.

Avec cette deuxième carte, on perçoit le changement dans la circulation de l’eau entre le XVIIIe siècle et aujourd’hui.
En effet, après le règne de Louis XIV, les travaux continuent. Il faut attendre le décret de Napoléon 1er en 1808 pour voir s’améliorer la navigation sur la Sèvre Niortaise. Enfin, au milieu du XIXe apparaissent les sociétés des « marais mouillés » qui réalisent d’importants travaux sur la Sèvre et les canaux.
Mais revenons à cette fin du XVIIe siècle. Jean Savin et Octavien Sacré vivent dans les actuels « marais mouillés » qui correspondent aux zones d’épandage des crues des de la Vendée, des Autises, de la Sèvre Niortaise et du Lay.
Louis XIV règne sur la France depuis plus de 50 ans, mais cela ne compte guère pour Octavien Sacré qui vit à Damvix (Vendée). Je sais peu de choses de lui, si ce n’est qu’il est le fils de Pierre Sacré, mon sosa 704, et que c’est un marchand. Il s’est marié 2 fois et a au moins 8 enfants de son premier mariage.
Il a 60 ans ans à sa mort. Sur son acte de décès on peut lire : « Le vingt du mois de mars mil sept cent un par moy curé soussigné a esté enterré dans le cymetière du costé du levant le corps de Octavien Sacré, marchand, demuerant au village de Bernegoue en cette parroisse agé d’environ soixante ans décédé de la nuit de vendredy dernier […] sans avoir reçu les sacrements par l’accident qui luy arriva tombant dans l’eau ou il est mort […] »
(AD79 Damvix BMS 1690-1703, vue 58)

Quant à Jean Savin. Il est laboureur à Courdault (aujourd’hui Bouillé-Courdault en Vendée) où il a épousé, vers 1665, Françoise Thibaudeau. Ils ont au moins 9 enfants dont beaucoup atteignent l’âge adulte.

Étonnamment, ses enfants vont tous s’éloigner de Courdault. La vie n’est sans doute pas facile dans ces contrées marécageuses. Jean et Pierre partent se fixer dans la paroisse voisine de Saint-Pompain et Françoise (mon ancêtre sosa 441) s’établit à Béceleuf. Deux partent encore plus loin : Marie s’installe à Laleu (aujourd’hui rattachée à La Rochelle) et René, qui est marchand, épouse dans la paroisse de Sainte-Radegonde à Poitiers la fille d’un commerçant poitevin et se fixe dans cette ville. Seule Jeanne reste dans la marais et elle s’installe avec son mari à Maillezais près de la grande Abbaye.

Jean Savin ne doit guère avoir plus de 45 ans à son décès et ses enfants sont encore jeunes. Il meurt à quelques kilomètres de chez lui « noyé dans le marais de Benet ». Son corps est ramené à Courdault dans sa paroisse où il est enterré. Son décès par noyade est peut-être aussi une des raisons qui ont poussé ses enfants à partir s’installer loin de leur village natal.
Jean et Mathurin ne savaient pas nager. C’est le cas de beaucoup de gens à cette époque, même quand on habite près de l’eau, et les accidents sont fréquents. L’eau est considérée, à juste titre, comme un élément aussi dangereux que le feu. Il existe d’ailleurs une légende dans le marais, la légende du bras rouge* qui évoque la présence dans l’eau d’une main rouge, laquelle peut vous emmener tout au fond. Alors, gare aux imprudents (notamment les enfants) qui s’approchent trop près des marais, rivières, canaux ou conches* !
Jean et Octavien ont peut-être croisé le bras rouge, mais ils ont plus sûrement été victimes d’un malheureux accident.
*La légende du bras rouge figure dans Les Contes de la Pigouille de l’écrivain et journaliste Louis Perceau.
*Conche : canal de petites dimensions que l’on trouve principalement dans le marais poitevin.
Sources :
Histoire du marais Poitevin
De l’an mil aux travaux d’asséchement d’Henri IV
Histoire du marais poitevin et des marais mouillés
La légende du bras rouge
Très intéressant avec l’aperçu historique. Les cas de noyade sont effectivement très fréquents dans les registres paroissiaux.
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Merci, cela m’a aussi offert l’occasion de parler du marais au cours des siècles, et aussi de commencer à utiliser le Géoportail de l’IGN (Merci Élise, et merci Raymond !)
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La certitude que l’eau est aussi dangereuse que le feu était une idée partagée par mes ancêtres qui vivaient au bord de la Loire et de ses affluents (sables mouvants, tourbillons…). (Et d’ailleurs par moi aussi…)
Très bel article !
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Merci ! Vivre dans le marais, au bord d’un fleuve ou à la mer engendrait les mêmes dangers.
Pour ma part j’ai surmonté ma peur de l’eau assez tard, mais c’est fait !
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