Je me suis trompé l’autre jour en faisant une demande aux Archives départementales des Deux-Sèvres. À la place du 3 E 1686 registre notarial de Me Jean Simon, notaire du duché-pairie de La Meilleraye, j’ai demandé le 3 E 1868. En règle générale, je peste après moi-même quand je fais ce type d’erreur mais, pour une fois, j’ai été ravi.
J’ai découvert le registre de Me Poictevin, notaire à Saint-Maixent pour l’année 1640. Des actes parfaitement reliés et conservés dans un magnifique « cayé pour l’année mil six cent quarente faict par moy p. poictevin« . Et à l’intérieur, une écriture très lisible, un classement alphabétique des actes en début de registre… Le notaire idéal, en somme.
Mais ce qui m’a fait encore plus apprécier l’homme, c’est la dédicace écrite sur la page de garde de ce registre. Sous les volutes graphiques, j’ai trouvé quelques lignes très humaines, si éloignées du jargon habituel des notaires.
Année de misère
et d’affliction pour le
pauvre peuple et de
la mort de ma femme et
de mon très cher père.
1640, année de misère pour le pauvre peuple sans doute. Nous sommes vers la fin du règne de Louis XIII, l’hiver a été glacial et les saisons qui ont suivi ont été très pluvieuses, les récoltes n’ont pas dû être bien fameuses. De plus, la région protestante subit progressivement le retour à l’ordre catholique. 1640, année d’affliction pour la mort de la femme et du père du notaire, probablement. Mais, en tant qu’amateur de généalogie, il me faut vérifier, même si je n’ai pas de raisons de douter des écrits du notaire. J’ai donc cherché les actes le concernant, lui et ses proches.
Le 1er que j’ai découvert, c’est son remariage le 30 juin 1641 à l’église Saint-Léger de Saint-Maixent avec Jehanne Drouhet, veuve elle aussi. En bon notaire, il a passé un contrat de mariage dix jours auparavant chez son confrère Me Charles Masson. J’y apprend le nom de ses parents, François Poictevin et Catherine Lecompte. Je n’ai pas trouvé où et quand est mort son père, même si c’est sans doute peu avant. Par contre, pour sa première femme, j’ai réussi. Elle s’appelait Madeleine Caillon. « Après avoir reçu les saints sacrements, elle a rendu son âme à Dieu… » le 6 mars 1641 à midi et son corps a été conduit à la sépulture le même jour à six heures du soir. À la lecture de la dédicace dans le cahier de son mari, je pensais qu’elle serait morte en 1640 mais le chagrin a peut-être égaré le malheureux tabellion. Il ne s’est pas écoulé 4 mois entre son veuvage et le remariage avec Jehanne Drouhet. Les deux veufs étaient-ils pressés d’adoucir leur peine ?
La première union du notaire avec Madeleine Caillon a sans doute été heureuse, sinon pourquoi le suggérer dans ce registre que lui seul consulte. Elle l’a été d’autant plus qu’elle a duré 20 ans. Pierre Poictevin s’était marié avec elle le 1er février 1621 dans la paroisse Saint-Saturnin de Saint-Maixent et il avait passé un contrat de mariage la veille. Je ne sais pas quand décède Jeahanne Drouet, la 2e épouse de François Poictevin, mais pour lui, sa vie prend fin le 3 mai 1654. Son acte de sépulture m’apprend qu’il était sans doute de religion protestante. En effet, comme beaucoup de ses coreligionnaires de Saint-Maixent, pour éviter l’extrême-onction, sacrement que refusent les huguenots, il décède de façon opportune « subitement » le samedi soir entre 10 et 11 heures du soir. Allez donc trouver un curé disponible un week-end à cette heure-là !
20 ans de mariage, c’est sans doute trop court quand on s’aime mais c’est aussi beaucoup quand je regarde les autres couples à la même époque. Pierre Poictevin n’appartient pas à ma généalogie, je l’ai découvert par hasard, par erreur même. Il ne ressemble pas à la cohorte des paysans, souvent catholiques, qui sont l’essentiel des ancêtres que je me suis découvert. Il était notaire, protestant, citadin… une occurrence totalement absente chez mes aïeux. Pourtant, je ne le renierai pas s’il était caché quelque part dans une branche de mon arbre. Je l’accueillerai avec plaisir non pour ce qu’il est, mais pour avoir exprimé des émotions si rarement dévoilées, des sentiments d’amour adressés à ses proches disparus et à l’humanité souffrante.
C’est toujours touchant de retrouver ces cours témoignages au fil des registres. Il y a peu j’en ai fais la découverte d’un également, celui de « l’année misérable 1770, on plaignit les pauvres » https://www.des-rameaux-aux-racines.com/post/l-ann%C3%A9e-mis%C3%A9rable
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Je pense qu’il faut de l’empathie pour pratiquer la généalogie, et si on ne l’a pas de base, ça me semble impossible qu’elle ne se développe pas à la lecture de tout ce qu’on peut croiser, tellement certaines choses sont poignantes.
Merci d’avoir partagé avec nous ce que tu as trouvé, Raymond !
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