Missionnaire à Pondichéry

En observant sur le site des Missions étrangères de Paris la liste des religieux deux-sévriens partis évangéliser en Asie, j’ai repéré le nom de Juste Falourd, né à Terves. Ce patronyme et ce lieu de naissance ne me sont pas inconnus, ils reviennent très souvent dans mon arbre. J’ai donc vérifié sur mon logiciel de généalogie et j’ai retrouvé Juste Falourd aussitôt. De lui, je n’avais que sa date de naissance et le nom de ses parents. Grâce aux Archives de l’évêché de Poitiers et à celles des Missions étrangères à Paris, c’est toute une vie que je peux maintenant raconter.

falourd missionnaire
Juste Falourd, source Missions étrangères de Paris

Juste Falourd est né dans une famille très pieuse et plutôt aisée de Terves, à côté de Bressuire. Le père, Xavier Falourd, descend d’une lignée de meuniers, il est propriétaire, réside dans le bourg et fait aussi office de sacristain à l’église. Sa mère, Clarisse Blanchin appartient aussi à une famille de notables, les hommes exercent la profession de maréchal de père en fils dans la même commune. Elle est également la sœur de mon ancêtre Mélanie Blanchin (mon Sosa 27). Xavier et Clarisse se marient donc le 17 juillet 1866 à la mairie de Terves. Il a 24 ans et elle 22. Il a perdu son père il y a 10 ans. Elle est orpheline de père et de mère depuis 5 ans, ses deux parents étant morts à un mois d’intervalle. C’est donc un jeune couple qui s’unit ce jour-là et qui veut sans doute se bâtir une vie nouvelle.

Un an plus tard, le 11 août 1867, la jeune épouse donne naissance à une petite fille, Eugénie. Le 9 mai 1869, à 3 heures du matin, c’est la naissance de Juste dans la maison de ses parents. C’était le seul événement de sa vie que je connaissais il y a peu de temps encore.

Le 21 janvier 1870, Juste perd sa sœur aînée : la petite Eugénie décède, âgée de 2 ans et demi seulement. Le 17 octobre 1871, Clarisse Blanchin accouche d’une petite Mélanie. Cette troisième naissance se passe sans doute très mal car 15 jours plus tard, la mère décède dans sa maison. Elle n’avait que 27 ans. Xavier Falourd se retrouve veuf. Au recensement de 1872, il habite avec sa mère Angélique Toru qui est aubergiste et ses 2 petits, Juste qui a 3 ans et la petite sœur Mélanie âgée de 6 mois. En charge de deux jeunes enfants, Xavier Falourd se remarie le 17 février 1873 à Terves. À l’âge de 31 ans, il épouse Adélaïde Frouin. Celle-ci n’est plus très jeune, elle a 39 ans, mais elle est très pieuse et saura élever chrétiennement les enfants qu’elle n’a pas eus.

Le petit Juste va-t-il a l’école publique de garçons de Terves ou, plus sûrement, est-il scolarisé dans une école confessionnelle de Bressuire, je ne sais pas. En tout cas, il est élevé dans la foi. Dans la famille très chrétienne d’Adélaïde Frouin, celle qui joue désormais le rôle de mère, il y a déjà plusieurs ecclésiastiques. Adélaïde a une sœur Rosalie Frouin qui est religieuse depuis 1862 aux Carmélites de Poitiers. Elle a aussi un neveu Fridolin Frouin, vicaire à Mauzé-sur-le-Mignon en 1872, puis prêtre dans les Vosges. Une autre de ses sœurs, Julienne, sera présidente de l’union des mères chrétiennes de Terves. Dans cet environnement très dévot, la voie du petit Juste semble toute tracée.

À la rentrée de 1883, il a 14 ans et je le retrouve au petit séminaire de Montmorillon dans la Vienne en classe de 5e. Sans être un cancre, ce n’est pas un élève brillant, il ne décroche aucun prix durant toute sa scolarité jusqu’en juillet 1887 à l’exception d’un accessit en version grecque la 1ère année. En ordre d’excellence, il est 13e sur 21 en 5e, 21e sur 30 en 4e, 19e sur 27 en 3e et 16e sur 26 en 2e.

J’ai retrouvé aux Archives de l’évêché de Poitiers une photo qui pourrait correspondre à sa classe. Est-ce lui le 4e en haut ? Je trouve à ce garçon des traits communs à l’homme sur la photo prise aux missions étrangères ? Mais il est tout autant possible qu’il ne soit pas sur ce cliché.

séminaristes montmorillon.JPG
Source Archives de l’évêché de Poitiers, photo de classe 1884

Je ne sais pas où il était scolarisé en 1888 car je n’ai pas trouvé son nom dans les différentes listes d’élèves. À la rentrée 1889, il est rentré au grand séminaire de Poitiers. Les jugements sont assez sévères sur les jeunes gens qui se destinent à la prêtrise. J’apprends qu’on lui a détecté une vison très faible de l’œil gauche, ce qui l’oblige à porter des lunettes. Sa conduite est régulière. Son caractère est pieux, il est estimé lent et préoccupé. Ses talents sont très ordinaires malgré un travail soutenu. Le fait d’être séminariste lui permet d’être exempté du service militaire en 1889.

Le 27 mai 1893, il est ordonné prêtre. Il commence sa carrière comme professeur au petit séminaire de Bressuire, puis il est vicaire à Faye-l’Abbesse, et ensuite à Charroux dans la Vienne jusqu’au début de l’année 1896. Théophane Vénard, un missionnaire originaire des Deux-Sèvres mort en martyr au Tonkin 35 ans plus tôt et très vénéré est sans doute un exemple pour lui. N’a-t-il pas, comme son modèle, une sœur prénommée Mélanie. Juste Falourd choisit d’être missionnaire et il rejoint le 14 janvier 1896 le séminaire des Missions étrangères de Paris cette même année pour faire son noviciat.

Un an plus tard, il est désigné pour rejoindre la mission de Pondichéry, dans les Indes. Il part le 5 mai 1897. L’époque était au colonialisme avec ses aspects militaires, économiques mais aussi religieux. L’Église et la République qui se déchiraient bien souvent étaient en accord sur ce terrain-là, comme le montre le compte rendu de son départ dans « La semaine religieuse de Poitiers » de 1897 sous le titre « Départ d’un missionnaire poitevin » : « Notre Poitou les compte par pléiades, ces valeureux missionnaires dont les travaux sont si féconds pour la conversion des païens, sans parler de l’influence française qui s’accroît grandement de leur œuvre évangélisatrice. […] Tous font œuvre éminemment catholique et française. C’est à leurs travaux qu’a voulu s’associer l’abbé Falourd […] Et maintenant, après avoir passé quelques jours à Terves, près Bressuire, parmi les siens auprès de cette sœur bien-aimée qui est à son cœur ce qu’était la chère Mélanie au cœur du vénérable Théophane Vénard, le R. P. Falourd fait route vers les Indes et va rejoindre les frères aînés qui l’appellent à cueillir avec eux la Moisson du Père de famille. » Il dit donc au revoir à sa chère sœur Mélanie, mariée depuis 7 ans avec Jude Frouin, le frère de mon arrière-grand-père Xavier Frouin. Il dit aussi au revoir à son père Xavier Falourd et à celle qui a veillé sur lui durant l’enfance, Adélaïde Frouin. Il ne le sait pas, mais il ne les reverra plus.

Sa nécrologie nous apprend de nombreux éléments de sa courte vie de missionnaire. Arrivé à Pondichéry le 28 mai 1897, il est d’abord nommé professeur au collège colonial en remplacement d’un enseignant malade, puis à la fin de septembre 1897, il est placé dans le district de Polur, à 120 km de Pondichéry à l’intérieur des terres. La mission n’est pas facile :
« Jeune missionnaire dans un poste de nouveaux chrétiens où tout est à organiser, il doit marcher pour ainsi dire dans l’inconnu : langue, mœurs, coutumes, caractères, il doit tout apprendre, et s’y plier de telle manière qu’il n’y ait point de froissement entre le prêtre et les fidèles, que ses ordres et sa direction s’adaptent à l’état et aux dispositions des chrétiens. »

Si Juste Falourd est sans doute sincère dans sa démarche, il reste toutefois un missionnaire :
« …l’administration d’un immense district comprenant environ 4.000 chrétiens ne suffisait pas au zèle et à la charité de notre confrère. Il n’oubliait pas que le missionnaire doit aussi travailler à la conversion des païens. À force de douceur et de prévenance, il sut en attirer un certain nombre à l’étude du catéchisme et des prières, et cinq ou six mois seulement après son arrivée à Polur, il était tout heureux de pouvoir donner le sacrement de la régénération à 48 adultes. »

Cette même nécrologie nous raconte longuement les conditions de son décès :
« À la fin de mai, ressentant de vives douleurs au côté droit, il dut quitter son poste pour venir à Pondichéry. Tout d’abord, les médecins crurent que c’était seulement une fatigue passagère causée par l’excès de travail, et prescrivirent un repos complet. Mais dix jours après, le mal s’accentuant de plus en plus, ils craignirent un abcès au foie, et engagèrent le malade à aller à  l’hôpital : « Comme vous voudrez, docteur, dit-il, je suis à votre disposition. » Il y entra sans tarder et y fut soigné avec un dévouement admirable par les sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Mais les bons soins des religieuses ne purent ramener le Père à la santé. La douleur augmentait de jour en jour. Elle était parfois si vive que le malade ne pouvait s’empêcher de pousser quelques soupirs. « Je vous en prie, dit-il un jour à la sœur qui le soignait, faites sortir les infirmiers ; j’ai peur de les scandaliser. » Le cher confrère était bien loin de scandaliser. Tous pensaient plutôt à compatir à ses souffrances et à les diminuer autant que possible.Le 29 juin, les deux docteurs pensèrent que l’abcès était suffisamment formé et déclarèrent au malade qu’une opération était absolument nécessaire. Il se soumit avec résignation à cette décision, la regardant comme venant de Dieu.
Le lendemain. M. Giraud vint le voir de grand matin et le trouva calme et souriant. Il le remercia même d’être venu assister à l’opération. Lorsqu’il lui demanda s’il était prêt : « Oui, répondit-il, je me suis confessé hier soir, et j’ai reçu le saint Viatique. » M. Paillot, vicaire de Notre-Dame des Anges, arriva, lui aussi, quelques instants après et fut accueilli avec le même sourire. Quand vinrent les docteurs, le visage du malade pâlit un peu. « Eh bien, Père, êtes-vous prêt ? lui demandèrent-ils. — Oui, docteurs, » répondit-il simplement ; et il fut chloroformé. L’opération dura une heure trois quarts.
Elle paraissait avoir réussi à merveille ; les médecins étaient on ne peut plus satisfaits ; la guérison devait être complète en une quinzaine de jours. Quand le Père fut réveillé, il était aussi gai que s’il n’eût jamais été malade. Vers 3 heures de l’après-midi, il disait à la sœur : « C’est bien, on vient de me débarrasser de mon infirmité : dans quinze jours ou trois semaines, je serai guéri. C’est moi qui vais en abattre de l’ouvrage à Polur ! » Le bon Dieu avait d’autres desseins. À 8 heures du soir, survint une syncope. On dépêcha bien vite deux hommes, l’un auprès de M. Paillot, l’autre auprès de M. Giraud. Quand ils arrivèrent, il était trop tard, tout était fini ! La syncope avait duré deux ou trois minutes, et le cher P. Falourd avait paru devant son Juge »

hopital pondichéry.jpg
Carte postale ancienne, l’hôpital de Pondichéry

À 29 ans, le 30 juin 1898, Juste Falourd décède donc à l’hôpital de Pondichéry, un an et un mois après son arrivée. Il meurt au même âge que le martyr Théophane Vénard, mais il n’a pas eu le même destin. Sa nécrologie est quelque peu cruelle ou maladroite avec le pauvre défunt. Peut-être que sa réputation scolaire d’élève aux talents très ordinaires malgré un travail soutenu l’a poursuivi jusqu’au bout ! Le texte commence par ces mots : « Si M. Falourd n’était pas d’une intelligence extraordinaire, on peut dire qu’il avait une piété et une bonne volonté à toute épreuve. » Intelligent ou pas, Juste Falourd est l’exemple dans mon arbre généalogique de nombreux destins similaires au XIXe siècle : des hommes élevés dans une foi alors très rigoureuse, se sentant investis d’une mission évangélisatrice, mais peut-être également des hommes tentés par l’aventure.


4 commentaires sur “Missionnaire à Pondichéry

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  1. oui, bel hommage! Beau travail Raymond! Toujours autant de plaisir à lire…à découvrir ces portraits que nous ne soupçonnons pas…M’en vais voir s’il n’y a pas quelque curé caché dans ma généalogie…

    Aimé par 2 personnes

  2. Oh ! Beau travail ! Et un site que je ne connaissais pas mais qui me semble prometteur… Moi aussi, m’en vais voir de ce pas s’il n’y a pas de missionnaires cachés dans mon arbre…

    Aimé par 1 personne

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