Quand j’étais enfant, nous allions souvent en famille à Terves, le village qui avait vu naître mes parents. Nous nous arrêtions d’abord au bourg voir mes grands-parents maternels, puis nous filions un peu plus loin rencontrer ma grand-mère paternelle, mes oncles, tantes et cousins à la ferme des Touches, là où est né et a grandi mon père. Un bâtiment ancien, tout en longueur, des vieux meubles de famille, une grande cheminée noire de suie, peu de confort… j’avais alors l’impression qu’elle était habitée de tout temps par mes aïeux. Aujourd’hui, je sais que cet endroit fait partie de l’histoire familiale, mais pas seulement. Il y a quelques années, je me suis lancé un défi au long cours, relever systématiquement les actes ou documents évoquant les Touches pour en reconstituer la chronologie. Le temps est venu de raconter ce que j’ai trouvé et même de feuilletonner. 1er épisode : avant la Révolution.
La toponymie éclaire sur ce que désigne cet endroit : le mot, d’origine pré-gauloise, désigne à l’origine un petit bois épargné par les déboisements du Moyen Âge. On trouve des lieux-dits nommés la Touche ou les Touches dans toute la France. Rien qu’en Deux-Sèvres, il y en a plus de 120 appelés ainsi, le plus souvent au singulier et parfois avec des variantes. Quelques bosquets au milieu des champs et des prés, c’est bien ce paysage ancien que je rencontrais, enfant, lors de mes sorties champêtres. Avant 1789, les sources sont plutôt rares pour faire l’histoire d’un lieu. Il faut suivre les hommes qui y ont vécu. Grâce aux registres paroissiaux de Terves, j’ai découvert quelques familles qui vivaient aux Touches.
Ai-je bien cherché ? Les registres commencent en 1605 mais, la première fois que je vois apparaître ce nom, c’est le 1er mars 1690. Ce jour-là naît la petite Jeanne, fille de Jean BITAUDEAU (on ne rit pas), métayer aux Touches, et de Guyonne MARILLEAU. Les Touches, c’est donc une métairie, un ensemble agricole exploité par un laboureur qui n’en est pas le propriétaire et qui doit payer chaque année, le plus souvent en nature, un pourcentage de sa récolte. Le couple y demeure peut-être depuis 1683 et il y reste au delà 1692. Puis vient un cousin de Guyonne MARILLEAU, André MARILLEAU, et sa femme Jeanne GOUNORD qui y donne la vie à au moins 2 enfants entre 1698 à 1701. Quelle(s) famille(s) occupe(nt) ensuite la métairie avant et après 1721 ? Je ne sais pas, mais elle est toujours exploitée car, de janvier à mars de cette année, le curé de Terves fait dire de nombreuses messes pour les Touches, sans doute en lien avec un ou plusieurs décès.
Vers 1737 arrive la famille VEILLON. Laurent VEILLON, laboureur, et son épouse Marie VIOLLEAU exploitent la métairie sans doute jusqu’en 1750. Quand ils débarquent ils ne sont pas tout jeunes, ils ont la cinquantaine passée. Ils ont changé régulièrement de domicile au gré des contrats de fermage. Je sais de façon sûre qu’au moins 4 de leur 6 enfants ainsi qu’une bru et quelques petits-enfants sont avec eux : il y a Jacques VEILLON (28 ans) et sa femme Marie TOURAINE et leur petit garçon Laurent, Louise VEILLON (30 ans) veuve de Pierre TOURAINE avec ses 2 fillettes, André VEILLON (24 ans) et Louis VEILLON (21 ans). Les 2 plus jeunes enfants, Laurent VEILLON (19 ans) et Marie VEILLON (13 ans), sont sûrement là aussi mais je n’en ai pas la preuve. Ce sont malheureusement des décès qui me renseignent sur leur présence dans cette métairie : 2 enfants jumeaux de Jacques VEILLON et Marie TOURAINE meurent en 1742 le mois de leur naissance. Puis, André et Louis meurent la même année en 1743 aux âges de 29 et 27 ans. Enfin, Louise décède 6 ans plus tard âgée de 41 ans. En 1750, peut-être suite à tous ces malheurs, ce qui reste de la famille VEILLON quitte la paroisse de Terves pour la ferme de la Guérinière à Moncoutant.
Cette même année, ils sont remplacés aux Touches par la famille GUIONNET venue de Chanteloup. L’aïeule Marie ARNAULT, 59 ans, est veuve depuis peu et ses grands enfants l’accompagnent. Il y a ses filles, Hilaire, Marie-Perrine et Marie-Françoise et ses fils, René et Pierre. En voyant la composition de cette famille, je ne peux m’empêcher de penser à ma grand-mère paternelle, veuve prématurément elle aussi, à la tête de la même ferme des Touches 2 siècles plus tard avec ses 4 enfants (dont mon père) pour l’assister. La famille GUIONNET s’agrandit, suite à plusieurs unions et aux naissances qui s’ensuivent. Pour cette même raison, elle se disperse à partir de 1760 et quitte la métairie. Certains vont dans le bourg, Marie ARNAULT et sa fille célibataire Hilaire GUIONNET mais aussi Marie-Perrine GUIONNET qui a épousé un maréchal. Pierre GUIONNET part à Bois-Guillot de Terves, René GUIONNET s’installe à Courlay et je perd la trace de Marie-Françoise GUIONNET après son mariage.
La métairie semble devoir changer assez souvent d’exploitant. Il y a peut-être ensuite René TRICOIRE qui perd en 1765 un fils de 7 ans aux Touches mais je ne sais rien d’autre sur lui et sur sa famille. Puis, entre 1767 et 1776, je trouve le couple formé en 1752 par Jacques CHARRIER et Marie BOUNIOT venu de Moncoutant avec leurs nombreux enfants. Enfin, on trouve de 1782 à 1791 la famille GABILLY auparavant à Chanteloup avec le patriarche, François, veuf depuis longtemps, son fils prénommé François lui aussi, tout juste marié à Marie THIBAUDEAU qui lui donne 2 enfants.
Si la borderie voit arriver régulièrement de nouvelles familles de laboureurs, le propriétaire, lui, ne change pas. L’assemblée paroissiale de Terves de 1759 rédigée par Me Texier, notaire royal, m’apprend qu’il s’agit du prieur de la Motte-Beaumont, un prieuré sans doute situé tout près, sur la paroisse voisine de Clazay. C’était fréquent avant 1789, les terres, au même titre que les moulins ou les fours pouvaient appartenir à des nobles ou à des communautés religieuses. Le prieur et ses successeurs resteront les propriétaires des Touches jusqu’à la Révolution. Mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai prochainement.
Que sais je encore sur cette métairie ? Elle était sans doute d’un assez bon rapport pour le prieuré si ce n’est pour ceux qui y travaillaient. En 1759, elle est taxée davantage que bien d’autres sur la paroisse. Je sais également qu’elle se composait de plusieurs bâtiments : une maison, une grange, une écurie, un toit à bestiaux. Il y avait aussi un jardin, une aire pour battre le blé, et bien sûr des prés et des pâtis, des terres labourables et d’autres pas.

En cherchant sur cette période, j’ai dû enfin remettre en cause l’idée même de ferme paternelle. Car ces laboureurs, bordiers ou métayers que je viens d’évoquer appartiennent pour beaucoup à ma lignée maternelle. Le couple Laurent et Marie VIOLLEAU (sosas 888 et 889), leur fils Jacques VEILLON et leur bru Marie TOURAINE (sosas 444 et 445) leur petit-fils Laurent VEILLON (sosa 222) sont des ancêtres de ma mère. Marie ARNAULT (sosa 435) et sa fille Marie-Perrine GUIONNET (sosa 217) le sont également ! Du coup, j’ai eu un peu la même impression que lorsque j’ai trouvé le premier implexe « humain » dans mon arbre généalogique. Le vertige me prend, cette métairie paternelle est aussi maternelle ! Aurais-je fait une découverte majeure dans la science généalogique avec une nouvelle notion, l’implexe géographique ?
La suite : pendant et après les guerres de Vendée
Sources AD79 :
– registres paroissiaux
– minutes de Me Lozeau, 3 E 7919 : pendant et parès les guerres de Vendée ;
– minutes de Me Texier, 3 E 7929
– indemnisations suite aux guerres de Vendée 1 M 607
– plans cadastraux, 3 P 361 et 3 P 326
Quelle aventure, on traverse le temps ! Je n’ose imaginer tout le travail qu’il y a derrière cet article…
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Merci Christelle. Je n’ai pas compté mon temps, il y a beaucoup de travail, c’est sûr, mais dilué sur plusieurs années.
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Minutieuses recherches, travail de « bénédictin » pour dénicher tous les occupants, et ma foi intéressante notion d’implexe géographique
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J’aimerais être un bénédictin car je ne suis pas sûr d’avoir déniché tous les occupants de la métairie des Touches. La lecture des registres de Terves demande de bonnes connaissances en paléographie ainsi qu’une excellente vue !
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