
Sur une idée de Sophie Boudarel, dans le cadre du #Généathème consacré à la transmission d’objets dans les familles.
L’un des plus anciens objets conservés dans ma famille est une jolie pendule au décor consacré à la chasse. Enfant, je voyais bien qu’elle était précieuse pour mes parents, même si elle n’est pas d’argent comme dans la chanson de Jacques Brel. Placée sur la cheminée, elle était protégée des mains d’enfants et de la poussière par une cloche en verre. J’appréciais le petit personnage avec son cor à la main, placé sur le côté droit, j’aimais la finesse des détails. À l’époque, je n’en connaissais pas l’origine. Je m’en suis inquiété il n’y a pas si longtemps et j’ai mieux compris pourquoi mon père y était si attaché.

Cette horloge est un des cadeaux reçus pour leur mariage par ses arrière-grands-parents, Joseph Deborde et Anathalie Jourdain. Un cadeau utile, élégant dans un environnement rural et bien moins encombrant qu’une comtoise. L’objet a donc un âge vénérable, 161 ans aujourd’hui, il a été donné le 24 mai 1859 à Terves aux mariés alors âgés de 33 et de 27 ans. Où a-t-il été acheté ? Sans doute à Bressuire, la ville toute proche. Par qui ? Selon ma mère, la tradition voulait qu’autrefois, les amis du futur offrent une pendule pour son mariage ; ce serait donc les camarades du marié qui se seraient cotisés pour offrir ce cadeau. Joseph aimait sans doute chasser si j’en crois cette photo où il pose avec son épouse, le fusil à la main. J’imagine que ce présent a dû lui faire très plaisir. La dernière question que je me pose n’a pas de réponse pour l’instant. Où a-t-il été fabriqué ? J’ai peu d’indices pour le savoir. Le nom du fabricant sur le cadran est presque effacé. Si je regarde à l’arrière, il y a deux nombres emboutis ou gravés : 3661 sur le balancier et 3933 sur une pièce métallique.
Une fois offerte, la pendule a trôné plus de 30 ans dans la ferme du Bois-de-Terves, là où le couple de cultivateurs a vécu et travaillé après leur mariage. Régulièrement remontée, elle tintait une fois toutes les demi-heures et autant de fois qu’il le fallait quand elle changeait d’heure. Les 2 premiers enfants du couple morts très jeunes n’ont pas eu le plaisir de l’entendre sonner bien longtemps. N’est resté qu’un seul fils, Lucien, qui a grandi en enfant unique auprès de ses parents. Devenu adulte, il a été rejoint à partir de 1884 dans la ferme par Marie Chesseron, sa toute jeune épouse, puis par leurs 2 premiers enfants. Quand toute la famille est partie vers 1890 s’installer non loin de là, à la ferme des Touches de Terves, Joseph et Anathalie ont suivi, emmenant avec eux le cadeau de mariage. La pendule est restée très longtemps dans cette maison. Est-ce elle qui a été consultée quand il a fallu noter les heures des décès des grands-parents de la ferme, les mariés de 1859 ?

Anathalie entend sonner pour la dernière fois le carillon le 19 janvier 1893 à 11 heures du matin à l’âge de 61 ans. Joseph, devenu en vieillissant le pépé José, continue de remonter la pendule pendant encore 14 ans. Quand, le 18 septembre 1907, Joseph s’éteint à son tour en début d’après-midi à l’âge de 82 ans, elle indique 1 heure.
Après son décès, la pendule ne s’est pas arrêtée. Elle est restée dans la ferme des Touches à veiller sur ses descendants et l’exploitation pendant trois générations. Elle aussi aurait pu à cette époque inspirer une autre chanson, celle de Claude Nougaro :
Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Tous les goûts sont dans la nature…
D’ailleurs ce coq avait bon goût
Car la pendule était fort belle
Dans les années 50, la « fort belle pendule » change de maison, de commune même. Elle quitte la campagne pour le chef-lieu du département quand mon père en hérite. Papa aimait la remonter régulièrement, précautionneusement, vérifiant de loin en tard si le mécanisme et le carillon fonctionnaient toujours. C’est encore vrai aujourd’hui. Si je tourne la clé et si je donne un léger mouvement au balancier, je peux toujours entendre le même petit marteau qui fait tinter le timbre chaque heure et demi-heure, tout comme Joseph et Anathalie il y a 161 ans.
Cet article est dédié à mon beau-père qui vient de nous quitter. Comme mon père, il était le gardien du temps passé ainsi que du temps qui passe : il a veillé jusqu’au bout sur une horloge, sa comtoise dont il prenait le plus grand soin.
Oh, c’est un article triste sur le temps et les gens qui passent, alors…
Affectueuse pensée pour vous tous dans ces moments difficiles.
J’aimeAimé par 2 personnes
Cette pendule est magnifique et son histoire est contée, il me semble avec beaucoup d’émotions.
Saisir et mettre à l’abri dans nos mémoires et nos cœurs les instants de bonheur, les souvenirs et l’amour de ces gardiens du temps passé.
Mes pensées sincères et affectueuses sont avec Sylvie et toi…
J’aimeAimé par 2 personnes
Quel bel article. Nos pendules du Poitou ou d’ailleurs, on ne sait pas forcément d’où elles viennent, mais on tient à elles, qui ont toujours rythmé la vie de nos familles. Je pense beaucoup à Sylvie et à toi. Courage,et à bientot
J’aimeAimé par 2 personnes
Un beau texte, très nostalgique pour un très bel objet.
» Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »
J’aimeAimé par 2 personnes
Elle est magnifique et le récit qui l’accompagne ne l’est pas moins !
Un généathème certes nostalgique mais tout à fait dans l’esprit
J’aimeAimé par 2 personnes
Un magnifique objet, un magnifique texte et un bel hommage au papa de Sylvie. De ma Bretagne, confiné, je vous embrasse.
J’aimeAimé par 2 personnes
La pendule est une pièce unique ou l’est devenue, témoin de ces vies qui nous ont précédés ! Cette pendule, quel trésor ! Merci.
J’aimeAimé par 1 personne
Très beau billet sur un magnifique objet : conserve le précieusement, prends en grand soin et transmet le avec son histoire !
J’aimeAimé par 1 personne
Très belle histoire, où le temps n’a pas prise, car nous suivons pas à pas le narrateur.
Précieux objet d’un temps partagé.
Merci
J’aimeAimé par 1 personne
Merci à tous pour vos petits mots gentils, touchants, réconfortants… Le temps est suspendu, portez-vous bien !
J’aimeAimé par 1 personne