
Aïe ! Le Généathème se complique pour ce mois de mai puisqu’il faut évoquer des histoires d’argent. Je vais donc le faire à ma manière, en rédigeant le synopsis d’une pièce de théâtre puisqu’il y sera souvent question d’actes. En faisant pour le Cercle généalogique des Deux-Sèvres le dépouillement des registres de Me Belliard, notaire à Chiché entre 1750 et 1780, j’ai découvert une série de documents qui m’ont permis de savoir combien pouvait coûter un mariage (et une résiliation de mariage) chez mes ancêtres paysans. Je raconte cette histoire d’amour et d’argent en 5 actes, comme Molière ! Je respecte à peu près l’unité de lieu. Pour l’unité de temps, je peux faire des progrès. Et pour mon plaisir personnel, j’ai résumé l’histoire en BD à la fin.
1er acte : le contrat de mariage
Il date du 21 avril 1763. Il est passé par Jacques TRUTIN de la paroisse de Geay, fils de Jean TRUTIN simple laboureur « à moitié fruits » et de Jeanne MERCERON avec Marie-Jeanne GUERET de la paroisse de Boismé, fille de Jacques GUERET, aussi simple laboureur « à moitié fruits » et de Jeanne CORNU. Les futurs époux, à défaut d’être du même village (les deux paroisses sont distantes de 16 km), sont du même milieu social, des métayers qui doivent donner la moitié de leur récolte en nature (à moitié fruits) à ceux dont ils travaillent la terre.
Je passe à l’aspect financier ou du moins à ce que j’en comprends. Le « proparlé » apporte à la communauté la somme de 30 livres promises par son père pour le jour des épousailles. Pour la « proparlée », ce sera aussi 30 livres promises par ses 2 parents qui, suite à différentes clauses, se réduiront à 24 livres payées à la Saint-Michel de l’année suivante. Je ne sais pas la valeur des « habits, linges, bagues et joyaux » de la future mais c’est sans doute bien peu. Une livre à l’époque équivaut aujourd’hui à 15 euros*. 30 livres feraient donc 450 euros. Bref, il ne faut pas imaginer un « beau mariage » dans un milieu de notables.
2e acte : le « résillement » de mariage
Il faut d’autant moins l’imaginer que, 2 mois plus tard, le 20 juin 1763, par le même notaire est rédigé l’acte de « résillement » du contrat de mariage. Jacques TRUTIN y déclare avoir changé de résolution. Bon gré ou mal gré, Marie-Jeanne GUERET et ses parents acceptent cette décision avec toutefois des conditions : le jeune homme et son père doivent payer tous les frais de notaires liés au contrat et à sa levée (11 livres), aux publications des bans à Boismé et à Geay tout cela sous 15 jours. Ils doivent en outre leur donner à la prochaine métive (moisson) 4 boisseaux de blé seigle, mesure de Bressuire (100 kg environ), pour le tort et préjudice subis. Le prix du blé, très variable selon les années et les aléas du temps, dépasse rarement les 30 sous le boisseau (25 euros*). Ce serait donc l’équivalant de 120 sous (ou 100 euros) qui aurait été versé à la jeune femme délaissée et à sa famille pour compenser le tort. Le désamour a un coût pour la famille de Jacques TRUTIN.
3e acte : le nouveau contrat de mariage
L’histoire pourrait être close, c’est pourtant là qu’elle commence à être amusante ou étonnante. Le lendemain du « résillement », le 21 juin 1763, qui se présente chez le même notaire pour passer un nouveau contrat de mariage ? Jacque TRUTIN me direz-vous, car il avait sans doute des visées sur une autre jeune fille ! Eh bien non, c’est Marie-Jeanne GUERET, la jeune femme délaissée ! Elle compte bien épouser cette fois Jean MONNAIS, serviteur domestique de La Chapelle-Saint-Laurent, fils de feu Pierre MONNAIS, bordier et de feue Jeanne GAUTRIN. Le futur doit apporter la somme de 40 livres qu’il déclare avoir « par devers lui et gagné » grâce à son travail. La mariée apportera la même somme. Les clauses semblent moins contraignantes pour le nouvel époux. Pour ce 2e contrat, on a donc mis plus d’argent sur la table que pour le 1er. Les « joyaux » de la mariée sont cette fois estimés à 3 livres, pas de quoi rivaliser avec Marie-Antoinette, la future reine de France.
Quoi qu’il en soit financièrement, ce nouveau contrat de mariage m’intrigue énormément et je ne lui trouve pas d’explication rationnelle. Comment se peut-il qu’une jeune fille répudiée par son fiancé trouve dès le lendemain un nouveau prétendant prêt à s’engager pour la vie ?
4e acte : mariage religieux ou « résillement » ?
Tout se passe-t-il bien cette fois-ci ? On peut le supposer mais je ne peux le prouver. Les bans sont publiés à La Chapelle-Saint-Laurent le 11 juillet 1763 et le mariage doit se tenir à Boismé peu après. Malheureusement pour moi, il n’existe quasiment plus d’archives antérieures à la Révolution pour cette paroisse. Impossible donc de savoir si le mariage a réellement eu lieu, s’il a été fécond… Un auteur plus bavard ou imaginatif que moi pourrait donc imaginer un nouveau drame au 4e acte avec encore une fois un « résillement », je ne m’y risquerai pas !
5e acte : le contrat de mariage de Jacques TRUTIN
Quant à Jacques TRUTIN qui avait refusé le mariage en 1763, il attend le 7 février 1767 pour passer contrat avec une nouvelle promise. Il a choisi Françoise BAUDOUIN de sa paroisse de Geay. Le marié apporte 60 livres provenant de la succession de sa mère décédée entre temps. La mariée apporte 80 livres : 60 livres pour faire l’égalité de la communauté et 20 livres pour elle, ainsi que ses joyaux estimés à 5 livres. Il y a donc un peu plus d’aisance pour le marié, due aux circonstances et aux années qui passent, que précédemment. Et cette fois, le mariage a effectivement lieu même si je ne trouve pas l’acte cette fois encore. La preuve de l’union aboutie de Jacques TRUTIN apparait 23 ans plus tard dans un registre paroissial de Faye-l’Abbesse. Le 19 juin 1790 à l’âge de 50 ans, il décède accidentellement, tué par un bœuf, et le lendemain sa veuve Françoise BAUDOUIN assiste aux funérailles.
* Calcul fait grâce à ce convertisseur de monnaie de l’ancien régime. Je vous laisse faire les autres conversions.
Voilà, mon scénario est fini. Il ne me reste théoriquement plus qu’à redonner vie à mes personnages, écrire les dialogues, faire claquer des portes… pour finir ma pièce de théâtre « Jacques et Marie-Jeanne », drame rural et monétaire en 5 actes. Comme je l’ai dit en préambule, j’ai préféré faire une courte bande dessinée grâce à l’outil BDnF. L’image qui m’a servi pour la créer est une estampe de Jehannin de Chamblanc, Zénobie et Radamiste (Source Gallica – BM Dijon).
Un vaudeville ou plutôt une farce très agréable à lire
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Très original! Quelle imagination … Bravo.
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Que de rebondissements ! Voilà une trame qui se prête fort bien à la forme théâtrale. Bravo pour la mise en scène !
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Oui, original et beaucoup d’humour.
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Très intéressant et vivant! merci
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