C’est l’été et nous sommes peu présents sur ce blog.
Pour patienter, voici un article publié en novembre 2021 dans le cadre du Challenge AZ de Genea79.
En France, la loi du 20 septembre 1792 met fin au registre de catholicité pour faire naître celui d’état civil. Ce ne sont plus les prêtres qui sont chargés de noter les actes de naissance, mariage et décès de leurs paroissiens, mais les officiers d’état civil des communes. Un changement pour la majorité de la population qui a dû renoncer sur cette période aux cérémonies pour lesquelles les curés officiaient, des rituels assurant aux paroissiens l’accès à l’au-delà et au paradis après une vie de dur labeur. À partir de 1792, la déclaration en mairie se fait auprès d’un officier d’état-civil qui peut être un voisin ou un ami, bien loin de de la solennité de l’église. Ce changement brutal fut parfois difficile à accepter.
C’est le cas pour mon ancêtre Marie Baraton et son deuxième époux François Mudet. Ils se marient le 3 mars 1794 à Fenioux, dans la Gâtine poitevine, leur union est notée dans le registre d’état-civil de la commune. Le 31 décembre de cette même année, une petite fille voit le jour, Marie-Madeleine. La déclaration de naissance se fait bien sûr en mairie. Cependant, le couple doit être très croyant et cet acte laïc ne leur suffit pas. À cette époque, les décès des enfants en bas âge sont légion et il ne faudrait pas qu’elle erre dans les limbes après sa mort…
Je suppose qu’ils se sont renseignés auprès de leur famille et de leurs amis, sans doute aussi auprès des religieux qu’ils connaissaient. Ils apprennent que des curés continuent à administrer des sacrements religieux dans la clandestinité. C’est le cas dans les campagnes hostiles à la Révolution, notamment plus au nord du Poitou, là où les Blancs sont majoritaires.
Ils se décident finalement à amener la petite fille auprès du curé de La Chapelle-Saint-Laurent, à 25 kilomètres au nord de leur village, soit à plus de 5 heures de marche. Le 14 juin 1795, c’est accompagnés de 3 autres couples de Fenioux qu’ils se rendent dans ce village. Un tel voyage n’est pas rien pour des laboureurs, d’autant plus pendant la période estivale, quand le travail des champs réclame de la main d’œuvre et n’attend pas ! Ce jour-là, l’officiant va baptiser pas moins de 18 enfants. Cela peut d’ailleurs expliquer l’erreur qu’il commet sur le prénom de la petite fille qu’il nomme Marie-Jeanne au lieu de Marie-Madeleine. C’est le vicaire Gautier qui bénit tous ces enfants. Il est le seul survivant des religieux de la paroisse : l’archiprêtre Tallery a été guillotiné à Niort le 4 décembre 1793 ainsi que Guichard l’autre vicaire. Ici, tous les baptêmes se font « sous condition », en effet le desservant ne connait pas les familles et il ne sait pas si ces enfants ont déjà reçu un sacrement.

La Chapelle-Saint-Laurent est un village qui a souffert à la Révolution. Beaucoup de paysans de la paroisse ont quitté leurs champs pour aller se battre avec les Vendéens et, début avril 1794, une colonne républicaine incendie probablement le bourg. Pourtant, tous les jours, de nombreuses familles viennent voir le curé pour un sacrement. Entreprendre ce voyage n’est pas simple dans ces conditions. Quand on regarde le registre, on voit bien que François Mudet et Marie Baraton ne sont pas les seuls à avoir fait ce choix malgré les risque. Pour la seule journée du 14 juin, outre de Fenioux, les parents viennent de Saint-Aubin-le-Cloud, Allonne, Secondigny, Adilly, Vernoux-en-Gâtine, Le Beugnon, Le Busseau, Azay-sur-Thouet, Scillé et La Chapelle-Thireuil.
Ce baptême a donné des idées aux parents qui obtiennent alors l’accord du curé de Chanteloup, un plus petit bourg un peu plus au nord pour prononcer leurs vœux et s’unir au sein de l’église un mois plus tard, le 13 juillet 1795. Là aussi, les registres de catholicité de cette paroisse nous montrent qu’ils sont nombreux à s’y déplacer. François Mudet et mon ancêtre Marie Baraton sont venus avec un autre couple de Fenioux, mais leur famille n’a pas fait le voyage pour la cérémonie.
L’année suivante, le 17 mai 1796, une autre petite fille voit le jour, Marie-Jeanne. Marie Baraton et François Mudet attendent moins longtemps cette fois et ils emmènent le bébé âgé d’un mois et demi auprès du curé Guillon à Pugny, un autre petit village, toujours au nord le 3 juillet 1796. Ils font le voyage avec Jean Chartier et Marie Giraud, aussi de Fenioux, qui viennent pour leur fils Pierre âge de 7 mois. Ce jour-là, c’est 12 baptêmes qui sont célébrés. Les familles viennent de Saint-Hilaire-de-Voust, Saint-Paul-en-Gâtine, Le Beugnon, Saint-étienne-des-Loges, Verruyes, La Chapelle-aux-Lys et Le Breuil-Bernard.

Dans ces villages de La Chapelle-Saint-Laurent, Chanteloup et Pugny, les prêtres ont continué pendant toute la période révolutionnaire à accompagner leurs paroissiens et ceux qui venaient parfois de loin les solliciter. Il s’agit d’actes clandestins, les risques existaient de se faire prendre. Jusqu’en novembre 1794, les combats se poursuivent dans toute cette zone. En 1795, ils sont terminés mais il faut attendre l’été 1796 pour un retour à la paix. Cependant, François Mudet et Marie Baraton ont su choisir des moments plus calmes pour rejoindre ces villages. Quand les registres comptent de nombreux actes chaque jour, la période est plus favorable aux déplacements alors que d’autres jours, quand les risques sont plus grands, peu de familles viennent.
Marie-Madeleine et Marie-Jeanne Mudet ne sont pas les seules dans mon arbre à avoir une déclaration de naissance puis un ondoiement dans un village éloigné. Les familles du Poitou ont souvent fait ce choix de rejoindre un prêtre resté fidèle à la monarchie dans les zones contrôlées par les Vendéens. Ils ont ainsi donné à leur enfants une reconnaissance par la République et par l’église.
Sources :
Merci à Jean-Philippe Poignant pour les informations sur la région de La Chapelle-Saint-Laurent au moment de la Révolution.
Patricia Lusson-Houdemon. La vie religieuse dans l’Ouest à travers les registres de catholicité clandestins. Persée
Vicomte de Lastic-Saint-Jal. L’église et la Révolution à Niort et dans les Deux-Sèvres. Gallica
J’ai vu sur ce registre tous ces villages inscrits d’où venaient les baptisés de ce registre de catholicité 1795-1801. J’ignore si ces baptêmes ont pu être faits à l’intérieur de l’église, le curé devant être « réfractaire ».
Merci Sylvie de donner vie à un couple, parmi tant d’autres, allant faire baptiser leur enfant à la Chapelle Saint Laurent, pendant ces heures sombres pour la région.
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Merci Mauricette. c’est vrai que ce registre est impressionnant !
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Un grand merci pour ce récit qui m’a d’autant plus passionné que Marie Baraton était la fille de mes ancêtres Nicolas Baraton et Marie Fournier. C’est une ouverture précieuse sur l’histoire de ma famille.
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Nous sommes donc cousins 🙂
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