Enceinte pour raison de copulation charnelle

Dans les contes pour enfants, les histoires d’amours finissent très souvent de la même manière :

« Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ».

Dans la réalité, les événements ne se succèdent pas toujours dans le même ordre. Nos arbres généalogiques contiennent un certain nombre de naissances hors mariage. S’agit-il alors d’histoires d’amour ou de violence ? Est-il question de consentement ou d’emprise ? Les registres de notaires peuvent nous éclairer car on y trouve parfois des déclarations de grossesse. Celles-ci étaient théoriquement obligatoires depuis 1556. Leur but : éviter les infanticides mais aussi identifier le père afin qu’il subvienne aux besoins de la mère et de l’enfant à venir. Les autres finalités étaient aussi spirituelles (assurer le baptême) et morales (restreindre les relations hors mariage).

Ces actes, malgré leur caractère administratif, racontent les sentiments et les mentalités d’autrefois. En dépouillant les registres de Me BELLIARD, notaire à Moncoutant dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, j’ai trouvé la déclaration de grossesse que fait Marie PALLUAU (présente très marginalement dans ma généalogie) le 8 novembre 1773. Elle y dit avoir été mise enceinte par un nommé François PALLUAU.

Jules Breton, le soir

En faisant cette démarche, Marie PALLUAU se conforme aux prescriptions royales. Serait-elle allée se plaindre à l’étude du notaire sinon ? Le caractère obligatoire apparait dans la rédaction de l’acte :

« sa déclaration est sincère et véritable et laquelle est faite pour satisfaire aux édits et déclaration de sa Majesté. »

Elle a cependant tout intérêt à signaler son état :     

« elle avisera pour tous les dommages intérêts qu’elle a à répéter contre lui pour lui avoir ravi son honneur, même de le faire contraindre à se charger de faire nourrir et entretenir l’enfant qu’elle porte et dont il est le père. »

Mais, avant toute chose, il lui faut donner son état civil (ses parents) et aussi raconter les circonstances qui l’ont conduit à cette grossesse hors mariage :

« Marie PALLUAU, fille majeure de François PALLUAU et de défunte Marie GUIONNET demeurant à Leglaudière en cette paroisse de Moncoutant, laquelle nous a déclaré que, en conséquence des caresses et pressantes sollicitations que lui a faite plusieurs fois François PALLUAU, et sur les promesses qu’il lui a plusieurs fois réitérées de l’épouser, elle a eu la faiblesse d’acquiescer à ses propositions, de manière qu’elle se trouve enceinte pour raison de copulation charnelle qu’elle a eu avec ledit François PALLUAU »

Marie PALLUAU, fille de François PALLUAU et de feue Marie GUIONNET était enceinte pour cause de « copulation charnelle » avec François PALLUAU. Comme on pouvait le pressentir, vu les patronymes des deux protagonistes, l’affaire s’est déroulée au sein de la famille. Le géniteur n’est heureusement pas le père de Marie mais il en est tout de même le cousin germain.

Tout le monde est majeur, François a la trentaine et Marie 28 ans, mais est-elle consentante ? On sait en tout cas où s’adresser pour retrouver François, il travaille à Terves pour mon ancêtre Laurent VEILLON :  

 « ledit François PALLUAU qui pour lors était domestique du nommé MAROLLEAU, laboureur en la métairie de la Blotterie en cette paroisse de Moncoutant dont il est sorti à la Saint-Jean dernière, et est présentement domestique du nommé VEILLON, laboureur à la Bouziottière, paroisse de Terves. »

Le fruit de cette copulation charnelle est sans doute une petite fille prénommée Marie comme sa mère et née au début de l’année 1774 mais je n’ai pas trouvé son acte de baptême dans les registres.

Ce qui est terrible dans cette histoire, c’est que ledit François PALLUAU n’en était pas à son coup d’essai. Marie PALLUAU en avait déjà subi les frais et avait aussi protesté devant le notaire, 2 ans auparavant. C’est le registre paroissial de Moncoutant qui nous l’apprend car la déclaration de grossesse chez le notaire est malheureusement introuvable :

« le 29 janvier 1771, a été baptisé un petit garçon prénommé Jacques né d’hier, fils naturel de François PALLUAU et de Marie PALLUAU suivant la déclaration que ladite Marie PALLUAU a fait devant BELLIARD, notaire royal de Moncoutant… »

Comme le petit Jacques n’a vécu que 6 jours, François PALLUAU ne s’est pas senti obligé de tenir ses promesses en 1771. Mais en 1774, la fillette née de la relation entre François et Marie PALLUAU s’est accrochée à la vie. Il était temps que le père reconnaisse enfin ses responsabilités et rende son honneur à la pauvre Marie.

Le 6 juin 1774, quelques mois après la naissance de l’enfant, François PALLUAU épousait à Moncoutant sa cousine Marie PALLUAU « sans opposition ni empêchement venu à notre connaissance comme il appert par le certificat du sieur vicaire de Terves en date du six juin » et apparemment sans demande de dispense de consanguinité. Les prêtres concernés, ceux de Terves et de Moncoutant, ont sans doute préféré fermer les yeux pour étouffer l’affaire. Le rituel catholique aurait pourtant autorisé cette dispense.

La septième cause [de dispense] est la nécessité de réparer l’honneur d’une fille qu’une fréquentation scandaleuse ou un mauvais commerce mettrait hors d’état de pouvoir espérer un autre établissement… (Rituel du diocèse de Poitiers / 1766)

Les deux pères des mariés, les frères François et Pierre PALLUAU, sont présents au mariage et sans doute soulagés que la situation soit réglée. Le couple s’installe à Terves, puis à La Chapelle-Saint-Laurent. De cette union, trois autres enfants allaient naître, une autre Marie en 1776, Marie-Rose en 1780 et Pierre-Joseph 1787 qui ne seront jamais adultes1, tout comme l’aînée, la petite Marie née hors mariage qui décède en 1781 à l’âge de 7 ans.

Quant aux deux parents, François PALLUAU meurt avant octobre 1793, peut-être à cause des guerres de Vendée, et Marie PALLUAU disparait durant cette même époque troublée.

Comment appréhender cette histoire vieille de plus de deux siècles avec nos regards d’aujourd’hui ? L’amour dans les archives est le thème choisi par Geneatech pour le mois de la saint Valentin. J’ai bien peur d’être hors sujet. Je doute fortement que les relations incestueuses et répétées entre François et Marie aient été consenties. En allant par deux fois faire une déclaration de grossesse, Marie voulait pourtant obliger son cousin à l’épouser. Elle disait vouloir retrouver son honneur, ce qui est possible dans une société fortement marquée par le poids de la religion. Elle désirait surtout assurer son avenir et celui des enfants qu’elle portait en son sein. Qu’importe si le père était son propre cousin germain.

Quelle a été la vie de ce couple par la suite ? Quels sentiments ont-ils pu ressentir et exprimer l’un envers l’autre ? Quelle a été l’attitude de leur famille, de leurs pères, de leurs proches, de leurs voisins ? Autant de questions sans réponses. Il m’est difficile d’imaginer une vie heureuse et épanouie à ce ménage formé peut-être sous la violence, en tout cas sous la contrainte morale et en plus frappé par le décès de leurs enfants. J’espère me tromper mais je leur imagine un destin funeste, emportés par la guerre civile de Vendée.

1/ Il subsiste un petit doute pour Marie-Rose. Je n’ai pas trouvé son décès mais je ne lui trouve aucune trace d’existence après son baptême.


Si vous voulez d’autres histoires d’amour et (ou) de mariage, nous en avons fait une sélection il y a 4 ans :
Notre best of de la Saint-Valentin
Il faudrait l’enrichir aujourd’hui avec :
❤ un amoureux silencieux : Le mariage d’un sourd-muet
❤ un amour contrarié : Un conflit entre une mère et sa fille
❤ un amour trop bref : À la recherche d’Alphonsine
❤ un amoureux puissance 4 : 4 mariages et plusieurs enterrements
❤ de longues amours : Les noces d’or
❤ un amour pour la postérité : Ma plus ancienne photo

3 commentaires sur “Enceinte pour raison de copulation charnelle

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  1. Merci beaucoup pour cet article bien intéressant, très bien écrit. je ne commence à trouver des naissances illégitimes dans mon arbre généalogique qu’à partir de la seconde partie du XIXe siècle et elles sont toutes sauf une régulariser via un mariage.

    Aimé par 1 personne

  2. Voilà un destin bien morose pour cette jeune femme… et certainement pas unique à son époque.
    En tout cas, la documentation en est riche. J’ignorais cette « obligation » de déclaration de grossesse auprès d’un Notaire : merci de l’avoir mise en avant dans cette histoire.

    Aimé par 1 personne

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