La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (2/5)

La suite des souvenirs d’enfance de mon parrain Michel CHESSERON (épisode 1)

La Roulière n’a pas été occupée bien évidemment, mais un jour un Allemand s’y est égaré à moto et s’est embourbé dans le Canal ! Grand-mère qui se promenait dans le jardin n’a aperçu que la tête casquée du soldat ! Comment avait-il fait pour s’aventurer dans de tels chemins ? Il a quitté le village en remontant l’Allée et trouvé en haut le père Marcel HAY à qui il a demandé le nom de la rue ! Le moulin du Magny, lui, que nous apercevions de l’autre côté de la vallée, a servi d’observatoire pour les Allemands. L’un d’eux y est resté pendant toute l’occupation et a noué des relations avec les gens. La belle vie ! Mais avec quelles gens ? Y a-t-il eu de la collaboration ? Il semblerait que non puisque personne n’a été inquiété à la Libération. Du marché noir ? C’est probable. Cet homme est revenu les voir pendant plusieurs années.

Le château de Blanche-Coudre a aussi été occupé. Les Allemands y avaient entreposé des munitions et beaucoup de fûts d’essence. Un jour de l’été 42, en fin d’après-midi, nous avons eu la surprise de voir arriver du bas de la Noue un Algérien. Je revois cet homme, grand, frisé, la quarantaine, dire à Papa en se mettant au garde-à-vous :
– Je suis Français !

Et de raconter son histoire. Il était prisonnier, chargé de surveiller le dépôt de munitions de Blanche-Coudre, et s’était évadé. Il avait, disait-il, beaucoup, beaucoup marché et se croyait loin de son point de départ. Papa l’a alors emmené à l’entrée du Pré du Bas à Louis LANDREAU et lui a montré le château :
– Tu vois, c’est de là-bas que tu viens !

La déception ! Il l’a emmené à la maison et Maman lui a donné à manger, je me souviens en particulier des petits pois. L’homme, dont nous n’avons pas su le nom, a voulu absolument poursuivre son chemin et Papa l’a laissé partir à contre-cœur. Mais quelques jours plus tard, nous devions apprendre qu’il avait été repris par les Allemands sans savoir vraiment comment cela s’était passé, malgré de très vagues rumeurs qui nous parvenaient à nous, les enfants, dans des conversations à demi-mots. Ce fait divers n’en a pas été un pour nous, il nous a beaucoup marqués, à tel point, m’a raconté ma nièce Marie, que quatre-vingts ans plus tard Lili son père, à demi-conscient dans son EHPAD de Cerizay, s’est mis à pleurer en se rappelant que Papa n’ait pas pu sauver cet Algérien.

Mais, très récemment, l’histoire vient de connaître un rebondissement inattendu. Mon ami Jean-Paul TURPAUD m’apprend que Jean-Marie FROUIN, beau-frère de mon parrain Jean DEBORDE, a constitué un dossier, à partir d’archives de la gendarmerie nationale de Bressuire en date du 23 février 1945, sur l’histoire des « Évadés de Blanche-Coudre », qui concerne ses propres parents. L’Algérien qui est passé par la Roulière est certainement celui qui a débarqué chez eux, dans le bourg de Terves, le soir du 3 septembre 1942, et qu’ils n’ont pu, eux non plus, sauver de l’arrestation malgré leurs efforts. Il faisait partie d’un groupe de 15 évadés « d’origine maghrébine » sur 28 prisonniers gardés par un encadrement allemand qui formait des « Malgré-nous » alsaciens avant de les envoyer sur le front russe. Dans cette affaire, l’action du maire, Louis CHESSÉ, qui avait mis la gendarmerie au courant, a été critiquée par la suite, sous la pression des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur), puisqu’à la Libération il a été condamné à inéligibilité pour cinq ans. Mais, à la réflexion, peut-être a-t-il agi pour éviter le pire ? Car, le soir même de l’évasion, 7 habitants de Breuil-Chaussée employés au château ont été sauvés d’une exécution sur le champ par les Allemands – ce que j’ignorais – grâce à l’intervention in extremis d’un colonel français à la retraite d’origine alsacienne et réfugié dans le château. Sinon, que serait-il arrivé à Raymond FROUIN si jamais il avait pu sauver l’évadé ? J’ai en effet le souvenir d’une conversation avec Lili me racontant que le maire était intervenu auprès des autorités locales pour empêcher de partir au Service du Travail Obligatoire (STO) en Allemagne l’ouvrier forgeron qui remplaçait les deux fils du père Stanislas CHARRUAULT, René et Stanislas dit Lalal, prisonniers en Allemagne.

Dès le début, les occupants ont imposé l’heure de l’Allemagne, c’est-à-dire une heure après celle du soleil. Nous disions que nous vivions à l’heure allemande.

Les fusils de chasse ont été réquisitionnés et la chasse interdite. Grand-père a porté le sien à la mairie. Le père Joseph CAILLAUD de l’Orbrie avait demandé à Louis LANDREAU de cacher le sien dans le creux d’un de ses chênes têtards. Louis, qui ne tenait pas à être fusillé, a carrément refusé. Le père CAILLAUD, pour qui la chasse était sacrée, a pris le risque, quand même pas très grand, de le cacher sous les tuiles de sa maison et s’est fait une solide réputation de braconnier, en tendant des collets pour prendre des lièvres ou des lapins. 

Lili se souvient qu’une autre sorte de réquisition avait eu lieu, celle d’animaux de ferme. Un jour le garde-champêtre, Joseph CLOCHARD, est venu à la Roulière pour prévenir Papa et Louis LANDREAU qu’ils devaient emmener chacun une bête sur le champ de foire de Bressuire. Papa et Lili sont donc allés ensemble à pied pour livrer un veau. 

À l’école, nous n’avons jamais su quelles étaient les opinions de monsieur CRÉCHAUD ni de madame, qui avaient un devoir de réserve. Mais ils avaient des ordres à respecter. Le portrait du Maréchal était affiché dans les classes. Un jour, madame CRÉCHAUD nous a demandé de le dessiner et je me souviens de son sourire moqueur : le dessin ne devait pas être très ressemblant ! Surtout nous avons dû chanter à la gloire du Maréchal une chanson dont je me souviens du refrain :

Maréchal, nous voilà / Devant toi, le sauveur de la France,
Nous jurons, nous, tes gars / De servir et de suivre tes pas.
Maréchal, nous voilà / Tu nous as redonné l’espérance,
La Patrie renaîtra ! Maréchal, Maréchal, nous voilà !

Une année, ordre avait été donné de participer à la campagne contre les doryphores qui détruisaient les champs de pommes de terre. Monsieur CRÉCHAUD nous avait emmenés dans un champ d’Isaïe FROUIN, de la Braudière. Quand, soudain, nous avons vu débouler Isaïe lui-même, en colère, qui n’en avait pas été informé. Et la campagne s’est arrêtée là ! C’est par allusion à cette campagne nationale que les Allemands ont été surnommés des « Doryphores ».

Quand l’électricité a été coupée en 1942, il a fallu se débrouiller sans. Pour nous éclairer dans la maison, je me souviens surtout des « chandelles de rousine ». Maman, qui les fabriquait avec de la « résine » et une mèche au centre, les installait dans la cheminée. Leur faible lumière créait des ombres géantes et imprécises qui se projetaient sur les murs et donnaient à la maison un aspect nouveau, singulier. J’ai vu aussi des lampes à carbure chez nos voisins LANDREAU. Il a fallu réutiliser les lampes Pigeon et les lampes à pétrole. Pour les travaux dans les granges et les « téts », les parents utilisaient les lampes-tempête.

Nous n’avons pas souffert de pénurie alimentaire à cause de la production de la ferme, bien que les Allemands aient fait des réquisitions et que mes parents vivaient dans cette crainte. À ce propos, Marie m’a raconté l’anecdote suivante. Par peur qu’on nous prenne du blé, mes parents en avaient caché sous le matelas des filles, mais ce sont les rats qui l’ont mangé, pas les Allemands ! Nous n’avions donc pas de carte d’alimentation. Mais peu à peu le pain du boulanger de Terves, Alexis GORY, est devenu noir et nous n’étions pas contents parce qu’il était censé utiliser la farine de notre propre blé. Je me souviens que Maman a essayé d’en fabriquer elle-même en le faisant cuire dans le four de la cuisinière ; il était très bon, mais cela ne pouvait pas durer. Nous avons fait alors appel au boulanger de Clazay, monsieur MILLET, dont le pain était meilleur.

J’ai souvent vu Maman confectionner des vêtements de A à Z. Papa lui avait fabriqué un rouet après avoir étudié celui de son ami Jean FROUIN, le cantonnier. En guise de roue à gorge, il a pris une roue de vélo. Je me souviens très bien de ce rouet dont Maman se servait souvent. Pour se procurer de la laine, elle partait à bicyclette à Mallièvre en Vendée, faisait donc près de quatre-vingt kilomètres aller-retour dans la journée – quel courage ! -, la cardait et en faisait des fils avec le rouet pour tricoter des chaussettes ou des gilets.

Mais d’autres souffraient réellement de pénurie, à commencer par mon frère Jean qui avait quitté le collège de Saint-Jo de Bressuire. Il a passé sa quatrième dans les locaux du grand séminaire de Poitiers, vides de ses jeunes gens, puis les autres années dans ceux du petit séminaire de Montmorillon, à cause de la ligne de démarcation qui coupait la Vienne en deux. Maman lui envoyait de temps en temps des colis. Quand il était à Poitiers, il s’est cassé la jambe. Pour le transporter à l’hôpital, on n’a pas trouvé d’autre véhicule qu’un corbillard ! 

Tonton Jean, qui dirigeait le Cercle catholique de Châtellerault, avait une amie dont la sœur, madame HALLIER, habitait Paris avec sa famille et qui, selon lui, comme beaucoup de Parisiens, souffrait de la pénurie de certains produits de base. Maman lui a envoyé régulièrement des colis de beurre ou de fromage. Avec tout le travail qu’elle avait par ailleurs – j’ai peine même à imaginer tout ce qu’elle devait gérer – elle se serait bien passée de celui-là qui ne lui rapportait pas grand-chose. La guerre terminée, elle n’a plus jamais entendu parler de cette femme qui s’est peut-être imaginée qu’elle avait fait du marché noir…

[à suivre…]

6 commentaires sur “La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (2/5)

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  1. Bonjour, Raymond,

    Très intéressant!! Maman ( née en 1933) me racontait qu’à l’école, la maîtresse leur faisait également chanter  » Maréchal, nous voilà ». Mais, dans le village , il me semble, que cette institutrice ( donc non collaboratrice) avait caché des enfants juifs, dont une très jeune fille de 14 ans, Rachel, environ déjà enceinte. Les filles de l’école tricotaient de la layette pour le futur bébé. ensuite, maman et mes grands-parents ont déménagé, et, quelque temps, plus tard, malheureusement, Klaus BARBIE, de sinistre mémoire, est arrivé. Maman a toujours espéré que Rachel , son futur bébé et les autres enfants ont pu être sauvés.

    Aimé par 1 personne

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