La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (4/5)

Quatrième épisode des souvenirs d’enfance de mon parrain Michel CHESSERON pendant l’occupation allemande. (épisode 1épisode 2épisode 3)

Jean et Pierre Deborde

STO : Jean DEBORDE et Albert SIMONET

En 1943, bien avant les événements que je viens de relater, les Allemands, qui avaient besoin d’augmenter leurs armements pour maintenir sous leur joug les pays européens qu’ils occupaient et lutter sur le front russe, avaient exigé du gouvernement de Vichy qu’il envoie des jeunes français dans les usines allemandes, comme STO. Pierre DEBORDE, qui tombait sous le coup de cette loi du 16 février 1943, aurait dû en faire partie. Mais, soutien de famille en tant que fils aîné d’une femme veuve avec quatre enfants, il a été remplacé par son frère Jean, mon parrain.

Bulletin de recensement pour le STO de Jean Deborde

Celui-ci est parti vers mai-juin à Gdynia, dans la banlieue de Dantzig. Il est revenu plus vite que prévu, avant le débarquement du 6 juin 1944, parce qu’il avait attrapé un furoncle ou un phlegmon à une main et ne pouvait plus travailler. Le 29 décembre 1943, je lui ai souhaité la bonne année. C’est de la localité d’Elbing qu’il m’a répondu le 11 janvier 1944 :

Je ne perds pas une journée pour répondre à ta gentille carte de bonne année et que tu m’as expédiée le 29.12. Mon cher petit Michel, je ne serai pas moins avare de souhaits que toi-même et je te souhaite en retour tout ce qui peut te faire plaisir. Je te souhaite une bonne année et une bonne santé, que tu pousses comme une salade et que tu comprennes tes devoirs dans un temps record. Je souhaite pareillement à toute la famille les grâces qui peuvent l’intéresser. Il faut par exemple à grand-père surtout une bonne santé pour que tante Agnès puisse se reposer et aller voir grand-mère Deborde aux Touches de temps en temps ; il faudrait à tonton Jean la liberté de pouvoir jouir de tout son cercle, cela en expédiant ses présents locataires. Il faudrait à papa et maman une année qui leur permette de faire d’excellentes récoltes, il faudrait à Hélène ses beaux cheveux d’antan et à Marie un cerveau à toute épreuve pour pouvoir encaisser le bac, l’italien, l’anglais, la ….., le solfège, les maths…
    à l’abbé Jean, il faut une soutane très pépère et le brevet supérieur en poche cette année cependant qu’à Lili nous souhaitons de pouvoir bientôt aider avantageusement papa ; alors nous arrivons à Joseph, Joseph que nous désirons trouver aussi mignon que lorsque nous l’avons laissé…..  Voilà, je crois avoir à peu près terminé ; il est dommage que Grand-mère ne soit plus vivante pour que je puisse, à elle aussi, dédier quelques mots. Pauvre grand-mère ! Nous avons quand même la possibilité de prier pour elle…
Mon cher petit Michel, tu voudras bien prier pour ton parrain pour qu’il guérisse ou qu’il retourne en son pays. Il faut aussi le faire pour tous ceux qui sont dans son cas, qui sont loin de leur patrie et des leurs ; souffrant de leur abandon physique et moral. Bonsoir mon petit Michel ! Bonsoir chère Famille Chesseron et à toi aussi cher petit village de la Roulière perdu au fond d’un charmant vallon qui est ma patrie. Je vous embrasse tous de très loin et toi surtout mon petit Michel.
Jean

Mais certains jeunes ont refusé de partir et sont passés dans la clandestinité. Albert SIMONET en a fait partie lui aussi ; il habitait Châtellerault quand il est venu se cacher à la Roulière.

Jean CHESSERON

Rien de surprenant à cela. En effet, en septembre 1937, à l’âge de 40 ans, Tonton Jean avait quitté Béthines, petite commune proche de l’Indre, pour y rejoindre le Cercle catholique sur la paroisse de Châteauneuf – dont il deviendra curé plus tard -, paroisse ouvrière située sur la rive gauche de la Vienne, où se trouvait la manufacture d’armes, « la Manu », où travaillaient plusieurs milliers d’ouvriers. Tonton était quelqu’un de très intelligent, avec beaucoup d’entregent, proche des jeunes et, disons-le, un séducteur, qui avait une foi très communicative, qui savait trouver les mots pour faire passer son message. Il avait carte blanche pour évangéliser la population ouvrière et a acquis une grande popularité sur l’ensemble de la ville. Il y animait une grande salle de cinéma où il ne projetait que des films qui ne choquaient pas les mœurs ! Il y avait créé un atelier de mécanique qui a accueilli des dizaines de jeunes, lesquels sont devenus ouvriers à la Manu, dont Albert. C’était pour lui un terrain idéal pour faire connaître à ces jeunes travailleurs le mouvement de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (la JOC) qu’avait fondé en Belgique l’abbé CARDJINN en 1927. Le congrès de la JOC à Paris en juillet 1937 a été un événement important qui lui a permis, à son arrivée à Châtellerault, de s’inscrire dans cette dynamique. Il a ouvert à la foi beaucoup de ces jeunes qui entendaient un discours nouveau, qui se reconnaissaient dans le « Christ ouvrier » ; ils portaient aux nues ce prêtre qui savait donner du sens à leur combat dans ce contexte de guerre imminente puis pendant la Guerre elle-même. « La JOC, c’était formidable », selon un ancien, Paul PERRIN. « La ville compte 250 jocistes à la fin des années trente, réunis autour de leur aumônier, l’abbé Chesseron, curé de la paroisse de Châteauneuf et directeur du Cercle catholique depuis 1937 », écrit Marie-Claude ALBERT dans « Châtellerault sous l’Occupation » (Geste éditions). On venait de toute la ville écouter ses sermons du dimanche, me dira plus de vingt ans après le même Paul PERRIN, qui faisait partie de la paroisse Saint-Jean-Baptiste où je serai vicaire durant quatre ans.

Il a aussi acquis son aura par son soutien sans équivoque à la Résistance, en prenant des risques (il avait toujours à portée de mains un costume civil au cas où…) et en s’impliquant dans les secours apportés à la population. Je l’ai entendu dire que pendant les bombardements de la Manu et de la ville, il a secouru les blessés. Il a certainement encouragé les jeunes à en faire autant ; j’ai en effet le souvenir d’Albert me racontant qu’en sortant quelqu’un des décombres il avait vu ses entrailles se répandre. Cela lui vaudra de siéger au conseil municipal de Libération présidé par le radical-socialiste Louis RIPAULT, ancien secrétaire personnel du maire de Lyon Édouard HERRIOT, en attendant les élections de 1945. Sur une photo prise le 8 octobre 1944 sur les marches de l’hôtel de ville et publiée par Marie-Claude ALBERT, on le voit en soutane au milieu des autres conseillers. 

Source CCHA Châtellerault sous l’occupation

Il a fait tout son possible pour empêcher les jeunes de partir en Allemagne. Mais pas Colbert Lebeau, responsable fédéral de la JOC, employé de banque au Crédit de l’Ouest, qui a accepté d’y partir, non pour aider les Allemands, mais pour protéger de représailles sa mère veuve et pour apporter le réconfort de la foi à ces jeunes gens en grande souffrance morale et physique. « Il faut que je parte là-bas, disait-il, les jeunes travailleurs vont subir toutes les pressions nazies. Ils auront besoin de moi pour résister. » « Un défi de taille pour ce jeune chrétien, dit Marie-Claude Albert : faire naître en territoire ennemi des équipes de réflexion, de prière et de partage, et se battre pour la dignité de l’homme dans son travail… Un apostolat de la non-violence. »  « Victime du décret nazi du 3 décembre 1943 contre l’apostolat des travailleurs requis », arrêté puis interné il mourra en déportation le 23 janvier 1945, à l’âge de 22 ans. Je me souviens que Tonton m’a parlé de ce jeune homme, il y a très longtemps, mais que m’en a-t-il dit ? Si je ne déforme pas mon souvenir, il m’a semblé qu’il ressentait à la fois une grande peine et une secrète admiration. Pour lui, ce jeune homme, n’était-il pas un martyr de la foi et de l’amour ? En quoi il avait raison. Mais peut-être aussi a-t-il ressenti de la culpabilité pour n’avoir pu le retenir ?

Albert est de ceux qu’il a protégés. Il était le fils unique d’une ouvrière et son seul soutien. Ajusteur de très haute précision à la Manu, ce jeune « manuchard » aurait été précieux dans une usine allemande. Un jour, un télégramme en provenance du postier de Châtellerault est arrivé à la Roulière : « Pouvez compter sur Aber. Pouvez prévenir Augrenière ». Comment se sont faites les tractations entre Tonton et Papa ? Nous ne l’avons jamais su, la prudence s’imposait, ce qui explique la déformation d’« Albert » en « Aber ». Toujours est-il qu’un jour de 1943 Albert a débarqué chez nous pour travailler comme ouvrier agricole. Les voisins avaient été mis dans la confidence. Avec sa gouaille de jeune du monde ouvrier, ils l’ont tout de suite adopté.

Pourtant, il en est un qui s’est inquiété quand il l’a vu arriver, Grand-père lui-même. Il s’est inquiété pour la vertu d’Hélène ! 15-16 ans, de beaux cheveux, elle ne pouvait laisser un jeune homme indifférent. Mais quand il a appris qu’Albert était fiancé à Suzanne, cela l’a rassuré.

Albert a travaillé chez nous et à l’Egonière chez le père Marcel HAY, mais surtout à l’Augrenière de Boismé, chez tonton Henri. Un certain matin, nous le voyons arriver à la Roulière en caleçon sur son vélo.
– Qu’est-ce qu’i t’arrive, Albert, lui demande Papa ?
– Ça sent l’ brûlé là-bas.

Il avait tout juste eu le temps de prendre son vélo pour échapper aux gendarmes venu le cueillir au lever du jour. En fait, il avait manqué de prudence en écrivant à Suzanne et en oubliant que le courrier était ouvert… Il lui fallait donc redoubler de vigilance. Un jour d’été que nous revenions du Champ de la Mothe et que nous arrivions au virage du grand pommier du Pré du bas, nous avons aperçu sur la « place du village » quelqu’un de suspect que nous connaissions bien et Albert s’est jeté dans la haie de la Châtaignarde, tandis que nous poursuivions notre chemin comme si de rien n’était. 

Sa venue à la Roulière nous a ouvert, à nous enfants de la campagne, les portes d’un monde inconnu, celui du monde ouvrier, à travers cette très grande entreprise nationale qu’était la Manu. Mais Albert ne s’est jamais syndiqué. Et je m’interroge aujourd’hui sur la JOC de Tonton Jean : était-elle un mouvement pour former de bons chrétiens ou pour transformer la société capitaliste et promouvoir la justice sociale ? A l’époque, le slogan des mouvements d’action catholique était le suivant : « Nous referons chrétiens nos frères. Par Jésus-christ nous le jurons. » Il est certain que le discours marxiste n’était pas le sien et la lutte des classes pas la sienne. « L’apostolat » de Colbert Lebeau, rappelons-le, était celui « de la non-violence ». En cette période de guerre ces jeunes travailleurs militants étaient surtout focalisés sur le quotidien à assurer et sur la résistance à l’occupant. Mais, après la Guerre, quelles perspectives leur proposer qui vaillent la peine de s’engager en mobilisant leurs énergies ?

A force de partager notre quotidien, Albert est devenu un membre de la famille. Mais il avait la sienne et a pris le risque d’aller voir sa mère. Après la Libération de Châtellerault, il est retourné auprès d’elle et a retrouvé Suzanne qui habitait La Haye-Descartes, dans l’Indre-et-Loire. Un certain midi que nous étions tous à table, ils nous ont fait une grande surprise. Tout à coup, de ma place habituelle, j’ai vu en contre-jour dans l’embrasure de la porte une splendide jeune femme en robe blanche et large chapeau blanc arriver comme une tornade. J’étais ébloui. C’est resté dans mon souvenir comme un flash qui a éclipsé tout ce qui s’est passé ensuite. Malgré tout l’amour qui les unissait, Albert et Suzanne ne voulaient pas se marier. C’est dire combien ils étaient en décalage avec la société du Bocage. Ils anticipaient ce qui mettra trente ou quarante ans à devenir courant chez nous. Mais quand Tonton a appris que Suzanne était enceinte, il les a obligés à se marier et elle lui en a beaucoup voulu.

[à suivre…]

3 commentaires sur “La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (4/5)

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