La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (5/5)

Dernier épisode des souvenirs d’enfance de mon parrain Michel CHESSERON pendant l’occupation allemande. (épisode 1épisode 2épisode 3épisode 4)

Lili, Jojo et Michel

La Libération

Le jour du vendredi saint 1944 où Lili, Jojo et moi avons vu la colonne allemande sur la petite route de Terves, nous ne pouvions pas nous douter que c’était un signe avant-coureur de la libération. Pas davantage le 6 juin quand les Allemands ont occupé notre école, tandis que les Alliés débarquaient en Normandie. C’est pour nous un jour mémorable. Quand nous sommes arrivés, les Allemands étaient là. Dans la matinée, un officier a pris Jojo sur ses genoux. Il a ouvert un de ses livres et lui a montré une image :
– C’est un monsieur, dit Jojo.
– Ein mossieu ?

Les élèves de Terves (Michel rang du bas, le quatrième en partant de la droite)
L’instituteur M. Créchaud

Ce jour-là, l’école a été fermée pour jusqu’à la rentrée d’octobre, les plus grandes vacances que nous ayons jamais eues. C’est cet après-midi-là que nous avons vu dans le ciel des milliers d’avions passer au-dessus de nos têtes en direction du Nord-Est, dans un ronronnement incessant. J’étais dans le jardin et Lili tournait le foin à la fourche avec Albert dans le Pré du Bas. C’était fantastique de voir ces « escadrilles » américaines et d’entendre ces avions qui annonçaient notre libération prochaine se diriger vers l’Allemagne.

Je ne sais plus quand les Allemands ont quitté la région de Bressuire. Étant donné que le front de Normandie venait de s’ouvrir, que les soldats y ont été envoyés sans tarder et que la Libération de Paris a eu lieu en août, je pense que fin août nous étions libérés, peu après les événements de Cerizay. Et la vie a peu à peu repris son cours. Pour la fête de Noël, la messe a été rétablie à minuit. Les prisonniers sont revenus les uns après les autres. Je me souviens d’avoir découvert des visages nouveaux dont je connaissais les noms, comme s’ils revenaient d’outre-tombe, et que je cite dans le désordre : notre voisin Joseph HAY de l’Egonière, Gaston DROCHON de l’Orbrie, un des frères TALON du Monceau, Alfred BROSSARD de la Toutaire, Jean GROLLEAU, René et Stanislas CHARRUAULT du bourg, René qui s’est écrié en revoyant le bourg :
– Ah, mine Terves ! 
et j’en oublie certainement. Mais il en est un qui n’est jamais revenu et qui nous était proche, notre voisin du Petit Puy, François DESSAIVRE ; pendant des mois, à l’église on a prié pour son retour : il n’a jamais réapparu, disparu à jamais sans laisser de traces. Je me souviens aussi du 8 mai 1945, le jour où l’armistice a été signé. Maman avait préparé un drapeau français que nous avions fixé à un bâton préparé par Papa. Dans la cour de l’école, un petit groupe s’est mis spontanément à chanter la Marseillaise autour d’un autre drapeau.

Ce qui s’est passé à l’église, je ne l’ai pas vu, mais on me l’a raconté. Une cérémonie y avait été organisée pour chanter le « Te Deum laudamus » (« Dieu, nous te louons ») afin de remercier Dieu de la Victoire. Les deux institutrices laïques, mademoiselle SERRE et madame CRECHAUD, s’y sont rendues ensemble, à la plus grande surprise de Marie la Cause (prononcer Cawze) qui habitait juste en face et s’est écriée quand elle les a vues entrer :
– Quond qu’i ai vu tié deux queriétures entrer dans tiale éguyise, i arais pris ine feurguaigne ! (Quand j’ai vu ces deux créatures entrer dans cette église, j’aurais pris un furguin !

Un « furguin » est une sorte de bouquet de petit houx (il en poussait dans notre Chemin creux), que nous appelions la « furguenelle », fixé au bout d’un long bâton. Cet outil servait à balayer les fours (racine de furguenelle) parce que le petit houx est très rigide. Il servait aussi à enlever les « arentèles » dans les maisons grâce à ses petites feuilles très piquantes. Marie la Cause comparait donc ces deux « créatures » à des araignées dont la place dans l’église lui paraissait totalement incongrue. Pourtant mademoiselle SERRE était catholique pratiquante. Marie la Cause exprimait tout simplement le point de vue de certaines personnes qui détestaient l’école laïque.

Après la fuite des Allemands de notre région, un soir nos parents nous ont réservé une énorme surprise. A la maison, dans ce que nous appelions le Corridor, un escalier conduisait à l’étage où se trouvaient des étagères inaccessibles pour nous, les enfants. Elles contenaient des objets bien camouflés dont nous ne pouvions deviner la présence : les quatre grands et lourds chandeliers du maître-autel de l’église que nos parents avaient cachés au début de l’Occupation. Personne n’avait été mis dans la confidence. Leur présence signifiait aussi que monsieur le curé RAMBAUD n’était pas pétainiste. Cela avait dû se passer de nuit et le secret avait été bien gardé ! Papa les a descendus avec précaution, emportés dans la maison avec leur enveloppe et posés sur la table avec solennité comme sur un autel. Quel émerveillement ! Le dimanche suivant, ils avaient retrouvé leur place à l’église.

 Avec l’armistice la guerre était désormais derrière nous. L’ivresse de la liberté retrouvée avait gagné la société. Un avenir plein de promesses s’ouvrait devant nous. Mais c’était oublier que la guerre est perverse, qu’elle laisse derrière elle des traces sournoises de son passage, comme je vais en apporter le témoignage.

La Roulière

Le lundi 3 septembre 1945, j’ai quitté la Roulière pour entrer à l’École cléricale de Châtillon-sur-Sèvre pour devenir prêtre et, de ce fait, entré dans un univers totalement étranger, avec des enfants et des ados inconnus, un règlement sévère, une discipline sans tendresse, une vie sans fantaisie. Mais cette rupture d’avec mon cocon familial a été si brutale que je suis tombé malade. Le vendredi qui a suivi, on nous a emmenés à l’église pour une « heure sainte » sans savoir de quoi il s’agissait. Pendant que le vieux supérieur de l’École/curé de la paroisse pérorait du haut de sa chaire sur sainte Gertrude à l’adresse de quelques vieilles dames éparpillées dans la nef, nous sommes restés derrière le maître-autel sur des agenouilloirs en bois sans accoudoirs, sans pouvoir bouger et sans rien comprendre à ce qu’il se passait. C’est alors qu’un mal de ventre du côté droit accompagné d’une envie pressante de faire pipi a commencé à se faire sentir, il s’est aggravé pendant tout le week-end et a fait craindre le pire. Le médecin a diagnostiqué une appendicite et on m’a emmené à l’hôpital de Bressuire. Quand je me suis réveillé, on m’a annoncé que j’avais été opéré pour rien. Une appendicite psychosomatique, dirions-nous aujourd’hui, provoquée par l’angoisse. Je me suis alors aperçu que je me trouvais dans une chambre où le deuxième lit était occupé par un garçon de mon âge qui avait perdu une main. Il habitait Les Aubiers et sa maman était assise auprès de lui. Sa main avait été déchiquetée par l’explosion d’une grenade qu’il avait trouvée dans un champ et manipulée. Son poignet était devenu un moignon enveloppé d’un bandage. La Guerre était finie mais, comme aujourd’hui avec les mines au Vietnam, au Cambodge, en Bosnie, en Ukraine ou ailleurs, elle continuait à blesser et à tuer. Ce petit garçon, mon voisin de lit, qui la veille se promenait paisiblement dans la campagne, était devenu en un instant handicapé pour la vie.

 Je venais de traverser la guerre sans vraiment mesurer la profondeur de ses ravages, un peu comme devant un spectacle, à la manière d’un enfant qui n’aurait pas connu autre chose, qui n’aurait pas souffert dans sa chair, protégé que j’étais par mes parents et mon proche environnement, tout en étant un témoin compatissant de l’exil des réfugiés qui affluaient et de celui de mon parrain parti en Allemagne, de l’arrestation de l’Algérien évadé de Blanche-Coudre, des pleurs du soldat allemand, du vide laissé par le mari prisonnier de Nénette de l’Egonière, des otages de Cerizay fusillés, etc. Et, tout d’un coup, au moment où je pouvais enfin goûter la joie de la liberté partagée, me voilà moi-même atteint directement, blessé par ce déracinement brutal et témoin de la blessure physique et psychologique de ce garçon innocent. Sans m’en rendre compte, je venais d’entendre sonner le glas de mon enfance.

5 commentaires sur “La guerre de 39-45 vécue par un enfant de Terves (5/5)

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